Les études et les témoignages de professionnels de santé le montrent : la consommation récréative de protoxyde d’azote est en forte augmentation depuis 2019 chez les jeunes Français. Pour rendre compte de l’ampleur du phénomène, Omar Ghellam-Allah, médecin généraliste, a réalisé une étude à Marseille dans le cadre de sa thèse de doctorat de médecine générale, soutenue en septembre 2023.

L’idée de ce travail lui est venue pendant son internat au cours duquel il a été confronté à une hausse des effets indésirables provoqués par la consommation de protoxyde d’azote, en particulier lors de son passage au plateau somatique de l’hôpital psychiatrique d’Edouard Toulouse, à Marseille. Un constat "partagé" par de nombreux professionnels de santé, aussi bien dans le "milieu hospitalier que dans les cabinets de ville", explique le médecin, aujourd’hui installé en libéral à l’Espace santé Saint-Louis (Marseille, XVe). L’objectif de sa thèse de prévalence était donc "d’objectiver la hausse de la consommation chez les jeunes dans un territoire donné" car "jusque-là, nous ne disposions pas vraiment d’études en population générale" pour rendre compte de cette augmentation, précise-t-il.

D’août à octobre 2022, ce dernier a soumis un questionnaire à des jeunes abordés dans les rues fréquentées de la cité phocéenne. Les critères pour les répondants étaient de résider à Marseille et d’avoir entre 18 et 25 ans inclus. 614 témoignages ont ainsi été recueillis, dont 55% d’hommes et 45% de femmes.

 

35% des jeunes déclarent avoir déjà consommé du "proto"

Sur ces 614 répondants, 213 (soit 35%) affirment avoir consommé au moins une fois dans leur vie du protoxyde d’azote dans un but récréatif. Parmi elles, 29% déclarent en consommer moins d’une fois par mois, 12% une fois par semaine, 54% deux à trois fois par semaine, 1% plus de trois fois par semaine et 4% tous les jours. Pour quantifier la consommation, Omar Ghellam-Allah a choisi de parler en nombre de cartouches de protoxyde d’azote. Toutefois, la plupart des usagers en consomme aujourd’hui sous forme de siphon, précise-t-il. Un siphon équivaut à environ 100 cartouches. En cas de prise, 47% des consommateurs répondants déclarent s’administrer entre 0 et 10 cartouches (47%), 24% entre 11 et 50 cartouches, 19% entre 51 et 100, 8% entre 101 et 150, et 2% plus de 150 cartouches.

Les dangers d’une telle consommation sont de deux types, explique le médecin. Tout d’abord, il y a des problèmes d’ordre traumatique directement liés à la consommation. Il s’agit par exemple de "brûlures" provoquées par le contact avec le gaz dont la température peut atteindre ‐88,5°C, de chutes dues à une "désorientation temporo-spatiale", et surtout de "plus en plus" d’accidents de la route liés à une consommation au volant dont certains ont pu récemment conduire à des décès.

 

"On retrouve ensuite des effets dits chroniques" liés à une consommation importante et répétée dans le temps, pouvant déboucher sur des problèmes neurologiques comme des engourdissements, troubles de la marche ou de l’équilibre dont certains sont définitifs. "Ce sont principalement ces effets que je retrouve en cabinet", témoigne-t-il. Le gaz peut également entraîner des troubles cognitifs, dysfonctionnements vésicaux et sexuels.

Le nombre de cas avec complications est recensé dans le bulletin de l’Association des centres d’addictovigilance qui alerte depuis plusieurs années sur une hausse de la consommation. Le dernier numéro (décembre 2022) montre une augmentation significative des effets indésirables graves : en 2021, le nombre de cas a été multiplié par 10 par rapport à 2019, passant d’environ 35 à près de 350… Selon une publication récente de Santé publique France (octobre 2023), 13,7% des 18-24 ans ont consommé au moins une fois dans leur vie du protoxyde d’azote dont 3,2% au cours de l’année.

Une des principales raisons à l’augmentation de la consommation, c’est la très grande facilité d’accès au produit, déplore Omar Ghellam-Allah. Car le protoxyde est légal et en libre accès dans les "supermarchés, alimentations de nuit et sur internet notamment via les géants de la livraison", précise-t-il. Il est aussi "possible de se faire livrer directement à domicile grâce à des applications prisées par les jeunes telles que Snapchat". Et la loi de juin 2021 qui, pourtant, interdit la vente aux mineurs, n’a pas freiné la consommation, regrette le médecin généraliste.

Une autre explication est un "effet de mode". En effet, les soirées privées organisées pendant la période Covid ont clairement popularisé, à partir de 2020, l’usage du gaz chez les jeunes, précise le médecin.

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