Pourtant, les modalités d’exercice dans le milieu libéral sont un formidable outil pour répondre très rapidement, en 48h ou 72h, aux besoins de soins et des soignants, tout en préservant la continuité des prises en charge de la population générale hors Covid, notamment les pathologies chroniques. Les directives ne sont pas en adéquation avec l’exercice de plus de 50% des soignants et par méconnaissance, elles ne sont donc pas à l’image des territoires.
Paris a été pourtant lourdement touchée par l’épidémie, mais notre administration centrale et nos énarques semblent en total décalage avec le terrain qui subit doublement la crise, au travers de l’impossible échange. J’en veux pour preuve la prise en charge des pathologies chroniques et les déprogrammations chirurgicales établies au travers d’un pourcentage d’activité. Quel est le critère pour dire qu’une chirurgie reconstructrice mammaire peut encore attendre plusieurs mois ? Nous n’écoutons pas les professionnels et les usagers. Il n’y en a que pour le discours des fédérations hospitalières, plus particulièrement publiques, qui alertent sur le manque de personnels mais qui n’ont pas engagé la pluridisciplinarité des professionnels pour répondre aux situations de crise.
Cette situation est insoutenable. On nous impose de faire un choix dans la prise en charge des malades dont on déprogramme les opérations, au risque d’induire potentiellement une perte de chance. État, établissements, soignants, nous devons partager cette responsabilité.
L’État reste "idéologue" dans le champ de la santé. Le secteur public est privilégié, il accueille la majorité des patients Covid en raison des infrastructures qu’il possède et utilise le secteur privé en fonction de ses besoins. Les réanimations privées resteront éphémères, alors que nous avons aussi des besoins et une utilité. Pourquoi l’État a-t-il oublié tous nos collaborateurs (1/3 des soignants) dans le cadre des revalorisations salariales ? Pourquoi a-t-il oublié de leur permettre d’être prioritaires pour la vaccination ou les gardes d’enfants ? Nous n’avons que trop entendu : "Il faut leur imposer des baisses d’activité pour ne pas avoir de fuite de patients, c’est l’équité !" Est-ce acceptable ?
Quid de la "démocratie sanitaire" au plan local ?
Sur le plan de la consultation des usagers, il m’est difficile de me positionner car ma réflexion est aujourd’hui soumise à ma position syndicale et de représentation professionnelle. Je suis persuadé que l’avenir – et cette crise va nous aider – est dans un travail et un portage collectif des revendications et des options des usagers et des professionnels. Par contre, même si je ne siège plus en Conférence régionale de la santé et de l’autonomie (CRSA), je pense que la démocratie sanitaire n’est pas assez importante et valorisée pour avoir un impact sur les décisions de l’État. Je ne vois pas cette démocratie territoriale sur le terrain. Je n’y croyais pas lorsque je siégeais, je n’y crois toujours pas, il s’agit davantage de lobbying. La CRSA n’a d’ailleurs qu’une voix consultative, et c’est bien le directeur général de l’ARS qui prend les décisions en matière de santé. C’est une problématique pour les Régions : certains directeurs généraux d’ARS sont à l’écoute, alors que d’autres agissent davantage comme des préfets, plus proches de l’État que de leur rôle de conciliateur pour développer un projet régional consensuel. Cela ne signifie pas qu’il faut laisser à la Région toute liberté quant à l’organisation de la santé des populations. L’État doit avoir un rôle important pour équilibrer ce système, mais de façon plus constructive et consensuelle.
Le problème est que notre pouvoir politique jacobin pense tout savoir et tout connaître, il souhaite tout régenter. Mais parfois lorsqu’il daigne descendre en province, il découvre les organisations et les initiatives locales, collectives et individuelles. Lors de la crise, j’ai été étonné que l’on ne fasse pas appel à de vrais logisticiens pour la gestion des masques, des vaccins et leur acheminement. Nous n’avons pas utilisé toutes les expertises disponibles dans notre pays pour être les plus efficaces et les plus efficients. Nous n’avons que très peu vu l’armée ou les grands groupes commerciaux qui auraient pu aider notre administration à répondre plus efficacement. Lorsque l’on n’a pas les moyens de produire, il faut acheter ; être un acheteur, c’est aussi une profession. De ce fait, on a pu constater une incompétence de l’État dans des domaines spécifiques. Par exemple, pour ce qui est des respirateurs, on en a acheté, mais ce ne sont pas les bons. Nous avons reçu du matériel utilisé pour des ventilations courtes, et non pour des ventilations de réanimation. L’État devrait donc apprendre à déléguer à des spécialistes pour qu’ils l’accompagnent.
Quelle est pour vous l’échelle pertinente d’action en matière de santé et de soutien à l’autonomie aujourd’hui ?
Nous devons nous appuyer sur un socle géré et financé par l’État. Pour cela, il peut compter sur l’Assurance maladie avec un vote annuel des financements et sur l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam). Ce système repose sur l’équité des prises en charge pour chacun d’entre nous et cela quel que soit le territoire. Je ne suis pas nécessairement pour un objectif régional des dépenses d’assurance maladie (Ordam) stricto sensu, dans la mesure où cela risque de déstabiliser certaines régions. Par contre, des enveloppes pluriannuelles donneraient plus de possibilités d’investissement pour restructurer l’organisation des soins sur l’ensemble du territoire car il existe de grandes inégalités entre les régions.