C’était une promesse de la mesure 31 du Ségur de la santé : "renforcer l’offre de soutien psychiatrique et psychologique de la population", à travers notamment "l’accès à des consultations de psychologues en ambulatoire" dans les structures d’exercice coordonné. Le ministère de la Santé compte donc renforcer la présence de psychologues dans les maisons et centres de santé pluriprofessionnels, afin de "mettre en place un binôme médecin généraliste-psychologue au sein des structures d’exercice coordonné à même de proposer des séances de prise en charge psychologique et ce, sans reste à charge pour le patient", précise le communiqué diffusé vendredi 28 mai. Objectif : "améliorer la prise en charge de la santé mentale des Français" et "permettre la solvabilisation de consultations de psychologues pour la prise en charge d’états de souffrance psychique dans la cadre d’un parcours de soins coordonné par le médecin traitant". Un dispositif qui doit "permettre l’orientation par tout médecin traitant (qu’il soit médecin généraliste, pédiatre ou gériatre) [exerçant dans ou hors MSP ou CDS, NDLR] vers le psychologue pour des patients qui présentent des troubles psychiques légers à modérés", précise le cahier des charges, dont Concours pluripro a eu copie.

Ainsi, les personnes identifiées par leur médecin traitant pourront bénéficier de consultations prises en charge par un psychologue dans le cadre de ce dispositif porté par l’avenue Duquesne et piloté par les agences régionales de santé (ARS). "Il n’est pas fait mention de prescription médicale mais bien de l’adressage d’un patient, par son médecin généraliste qui en a évalué le besoin, à un psychologue", souligne Pascal Chauvet, infirmier libéral à Alnay (Charente-Maritime), trésorier d’AVECSanté et membre du groupe de travail – réunissant l’Assurance maladie, le ministère de la Santé, la fédération AVECSanté, les représentants des psychologues et des psychiatres ou encore le Collège de médecine générale – qui a planché ces derniers mois sur l’organisation de ce dispositif.

Ce dernier prévoit que la MSP ou le CDS puisse exiger que le médecin traitant exerçant en dehors de la structure et qui souhaite adresser un patient à un psychologue membre dans la structure, signe une convention, "pour s’assurer, notamment du respect des bonnes pratiques s’agissant de pertinence de l’adressage vers le psychologue".

 

Il n’est pas fait mention de prescription médicale mais bien de l’adressage d’un patient par son médecin qui en a évalué le besoin, à un psychologue

Le document précise également les principes généraux du dispositif :
mise en place d'un parcours de soin fluide et efficace (médecins traitants et psychologues) ;
repérage et prise en charge initiale précoce des troubles en santé mentale ;
repérage des troubles psychiatriques débutants et devant être orientés d’emblée vers les services spécialisés (psychiatrie et pédopsychiatrie), garantissant ainsi la sécurité du patient ;
création d'un tarif en harmonie avec les expérimentations encadrées au niveau national, sans reste à charge ni avance de frais pour le patient ;
sélection des couples "MSP/CDS – psychologues" sur la base de critères mentionnés (critères d’agrément pour les psychologues) ;
mise en place un niveau de compétence du médecin traitant et du psychologue en adéquation avec les indications cliniques retenues ;
évaluation du dispositif.

Si un besoin est identifié, le médecin traitant oriente donc le patient vers le psychologue, s’appuie sur les outils d’évaluation pour l’inclusion des patients, se concerte avec le psychologue afin que la prise en charge soit en accord avec les besoins du patient, réévalue l’état du patient à la suite de la prise en charge psychologique et oriente (directement ou après réévaluation) vers une prise en charge spécialisée si nécessaire.

Si l’idée séduit sur le papier, plusieurs points de tension sont pointés du doigt, notamment par AVECSanté. Tout d’abord, le dispositif prévoit la prise en charge de dix séances, à l’issue desquelles une évaluation par un psychiatre permettra la reconduction éventuelle des séances dans le cadre d’un soutien thérapeutique ou une orientation vers un centre médico-psychologique ou tout autre structure si besoin. Ce psychiatre, ou le pédopsychiatre, libéral ou hospitalier, interviendra "dans les situations complexes d’emblée ou lors de la réévaluation d’un patient, notamment pour les troubles psychiques persistants ou non répondants à la prise en charge initiale". La structure d’exercice coordonné identifie ainsi, dès la candidature au dispositif, les psychiatres "ressources" pour intervenir en cas de situations complexes, d’emblée ou pour les réévaluations."Nous ne cautionnons pas cette évaluation du psychiatre qui remet en cause les compétences professionnelles des médecins et des psychologues, titulaires d’une formation master 2 en psychologie clinicienne, pour être retenus dans le dispositif", soutient Pascal Chauvet.  

 

Quelle population cible ?

Les patients éligibles sont les patients suivis par un médecin traitant, présentant des signes de souffrance psychique et ayant accepté d'adhérer au dispositif, soit tout patient à partir de 3 ans :

Pour les patients de 3 à 17 ans inclus : ceux présentant des modifications explicites du comportement et/ou du fonctionnement intérieur, suscitant l’inquiétude de l’entourage (famille, milieu scolaire, médecin généraliste, pédiatre, PMI…etc). "Le médecin adresse le patient au psychologue, pour un entretien initial d’évaluation, puis 1 à 5 séances avec le psychologue. Au plus tard après ces 5 premières séances, une consultation avec le médecin adresseur est prévue afin d’évaluer l’évolution de la symptomatologie et le cas échéant anticiper des contacts avec un psychiatre ou un pédopsychiatre, qui auront lieu après les 5 consultations supplémentaires", précise le document du ministère de la Santé.

Pour les patients à partir de 18 ans : ceux en souffrance psychique et/ou troubles psychiatriques mineurs. "Le médecin adresse le patient au psychologue, pour un entretien initial d’évaluation puis 1 à 10 séances de prise en charge psychologique puis, si nécessaire, de 1 à 10 séances de psychothérapie spécifique", note le cahier des charges. À l’issue des séances, "un nouveau bilan est réalisé et discuté avec le médecin généraliste, pouvant aboutir à l’absence de suite à donner ou une proposition d’une psychothérapie spécifique après avis du psychiatre". Les psychothérapies peuvent prendre la forme d’une thérapie comportementale et cognitive (TCC), d’une psychothérapie psychodynamique ou d’inspiration analytique, d’une psychothérapie interpersonnelle (TIP) ou d’une thérapie d’inspiration familiale.

En revanche, en cas de suspicion d'écart au développement chez les enfants (troubles du neuro-développement [TND], troubles du spectre de l'autisme [TSA]), ces derniers doivent être adressés aux plateformes de coordination et d'orientation TND.

 

Parmi les critères d’exclusion : les patients âgés de moins de 3 ans, patients en ALD ou en invalidité pour un motif psychiatrique ou en arrêt de travail de plus de 6 mois pour un motif psychiatrique, patients ne pouvant pas communiquer avec le psychologue (barrière de la langue) ; patients présentant un trouble neurodéveloppemental sévère ; patients avec antécédents de suivi psychiatrique dans les trois ans ; toute situation d’urgence psychiatrique détectée par le médecin traitant ou situation où le patient nécessite un avis spécialisé par un psychiatre, personnes avec comorbidités psychiatriques,  patients bipolaires ou borderline sous anti-épileptiques, etc.

 

MSP, CDS, ARS : chacun son rôle

Les maisons et centres de santé pluriprofessionnels peuvent participer au dispositif à condition "d’être une MSP dont le statut permet le recrutement ou le paiement de prestations (Sisa, …) ou un CDS signataire de l’ACI ou adhérent à l’accord national", de sginer la charte d’engagement et d'entrer dans la démarche d’évaluation, de travailler en lien avec des psychiatres et des pédopsychiatres, d'organiser le partage et la transmission d’informations, de transmettre "les données liées au suivi du dispositif à l’ARS (données anonymisées : nombre et type de séances réalisées, et le nombre de patients entrés dans le dispositif)" et de lancer le dispositif dès la signature d’une convention avec l’ARS.

Les ARS, elles présélectionnent les structures d’exercice coordonné éligibles au dispositif, examinent les demandes de financement, "en s’assurant notamment des qualifications des psychologues choisis par les structures", et est en charge de leur financement. Elles peuvent aussi accompagner les structures dans la mise en œuvre du dispositif et sont responsables du suivi de la mesure et de la transmission des informations au comité de pilotage national, en charge du suivi et de l’évaluation de la mesure, et des éventuels règlements de litiges au niveau régional. "Un dispositif de suivi bimensuel est mis en place par l’ARS, pour permettre dès le lancement du dispositif, le suivi du nombre de psychologues exerçant dans ce nouveau cadre", précise le cahier des charges.

 

La rémunération en libéral décriée

La rémunération des professionnels de santé est un autre point de discorde, AVECSanté reprochant aux tutelles de favoriser le salariat. D’ailleurs, "dans un premier temps, le ministère et l’Assurance maladie ne voulaient que du salariat, fait savoir Pascal Chauvet. Mais nous leur avons expliqué que 60% des MSP comptent des interventions de psychologues libéraux. Nous sommes donc parvenus à disposer d’une tarification libérale. Néanmoins, le modèle économique privilégie le salariat au détriment de la prestation."


Source : instruction n° DSS/SD1/DMSMP/2021/101 du 17 mai 2021

 

Le salaire proposé au psychologue sera de 2 600 euros net par mois (soit l’indice 9 des psychologues de la Fonction publique hospitalière), pour un équivalent temps plein, ce qui, dans le cadre du dispositif, représente environ 50 000 euros brut annuel pour un poste chargé (1 ETP, charges patronales comprises). En libéral, le dispositif prévoit une rémunération à hauteur de 22 euros brut par séance. "Les psychologues sont donc vent debout, prévient Pascal Chauvet. En comparant les deux modes de rémunération, on s’aperçoit que le salariat serait plus avantageux puisque cela permet aux psychologues de gagner environ 17 euros net la séance, alors qu’en libéral, cela revient à 11 euros une fois les charges déduites." Ce choix entre le salariat ou le libéral reviendra aux équipes, en lien avec le psychologue.

Focus

Le modèle économique : deux cas de figure

Deux cas de figure sont présentés en exemple dans le cahier des charges du ministère de la Santé.

> Cas n° 1 : Une structure salariant un psychologue
"Cette part de la dotation, versée à la structure, intègre à la fois la rémunération brute du psychologue, mais aussi les cotisations de l’employeur. En fonction du temps de travail convenu entre l’ARS, la structure et le psychologue", la dotation est calibrée comme suit.


Source : cahier des charges du ministère de la Santé
 

> Cas n° 2 : Une structure ayant sélectionné un psychologue libéral pour la réalisation de prestations
"La part de la dotation est calibrée pour rémunérer un certain nombre de prestations de psychologue dans l’année. L’ARS estime ce nombre au vu du besoin exprimé par la structure, dans le cadre de sa demande de financement, et calcule la dotation en prenant en compte le tarif des différentes prestations : 32 € pour des entretiens d’évaluation et séances de psychothérapie spécifique (prestations d’environ 45 min) ; 22 € pour des séances de prise en charge psychologique (prestations d’environ 30 min)", précise le document.


Le coût total estimé par patient (s’il réalise la totalité des séances prévues dans le parcours, hors consultation auprès de son médecin traitant et du psychiatre ou pédopsychiatre) est de : 572 € pour le patient à partir de 18 ans pour 21 interventions du psychologue (= 32 € + 10 x 22 € + 32 € x 10) et  252 € pour celui entre 3 et 17 ans inclus pour 11 interventions du psychologue (= 32 € + 10 x 22 €).


Source : cahier des charges du ministère de la Santé

 

Des critères trop sélectifs

Les ARS auront la main pour sélectionner les MSP et des CDS participant au dispositif. "Elles vont lancer un appel à candidature avec une priorisation sur les territoires défavorisés, donc ceux en désertification médicale et en précarité, indique Pascal Chauvet. Il fallait un critère pour la sélection, mais la souffrance psychologique n’est pas liée au territoire. Selon nous, la limite repose surtout sur l’ambition budgétaire du dispositif !" Car celui-ci est financé par des crédits issus du Fonds d’intervention régional (FIR) avec une enveloppe annuelle de 12 millions d’euros reconductible sur trois ans, qui rémunérera notamment les 200 ETP de psychologues. "Cela ne couvre pas l’ensemble du territoire national mais seulement 25 à 30 % des MSP", regrette Pascal Chauvet.

Dès le lancement du dispositif, l’ARS versera une avance à la structure, correspondant à un montant comprenant un "forfait structure" (7 % des 50 000 euros prévus pour un ETP, soit 3 500 euros par an, versé à la Sisa au prorata de l’activité du psychologue) et 50 % de la part de la dotation calibrée pour rémunérer du temps de psychologue. "Au deuxième semestre, elle versera le reste à payer (…). Au début de l’année suivante, le contrat peut être revu en fonction notamment des données d’activité remontées sur la première année", précise le cahier des charges. Une somme qui doit couvrir le financement du local, la gestion du salariat, la coordination, etc. "Nous pensons que les MSP ne vont pas nécessairement candidater à cause de ce faible montant car 300 euros par mois, ne serait-ce pour le local, c’est insuffisant", dénonce Pascal Chauvet.

Le dispositif expérimental sera évalué et peut-être amené à évoluer au fil des années. "S’il devient une priorité de santé publique dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale, on peut espérer une augmentation de la dotation, précise l’infirmier. Et pourquoi pas une généralisation de la mesure dans la France entière, voire une reconnaissance des psychologues comme professionnels de santé ?"

 

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