Article publié dans Concours pluripro, avril 2021

 

Limiter le risque de dénutrition et de fonte musculaire, accompagner les patients anxieux

En chiffres
Chiffres de la dénutrition COvid-19
Source : Nutricovid30

Le Contexte

Covid-19, mars 2020, première vague : la ville de Mulhouse (Haut-Rhin) fait partie des premiers clusters. Un rassemblement de 2 000 personnes semble être le déclencheur d’une situation épidémique locale qui ne fera que se tendre. À une vingtaine de kilomètres de là, la petite ville française de Bartenheim (environ 4 000 habitants), située sur le territoire des trois frontières (proche de l’Allemagne et de la Suisse), se retrouve entraînée dans la tempête, et subit de plein fouet la maladie. "Pendant le pic de la crise, il y avait dans le village une ou deux hospitalisations et un décès par jour", d’après Delphine Franck, diététicienne nutritionniste à la MSP Galénus de Bartenheim.

Mais, alors que les médecins et les infirmières de ces régions sinistrées sont sur le pont à tenter de soigner, d’autres professionnels de santé se retrouvent bien malgré eux dans une situation de chômage technique. C’est le cas de Delphine Franck : "Je ne pouvais pas travailler… Avec le temps libre dont je disposais, je suivais alors tous les développements de la maladie, au fur et à mesure des connaissances qui arrivaient." Un élément concernant son domaine d’expertise émerge assez rapidement : les personnes ayant présenté des symptômes importants, hospitalisées ou non, semblent souffrir d’une perte de poids et de fonte musculaire à l’issue de la phase aiguë de la maladie. "J’ai donc travaillé pendant le confinement sur une idée de protocole de prise en charge des patients post-Covid-19, que j’ai présentée à l’équipe de la MSP", poursuit la diététicienne.

Le protocole

L’idée de départ à la création du protocole était de limiter les séquelles après le Covid-19, et notamment de ne pas entrer dans la spirale de la dénutrition (voir ci-dessous). Pour le mettre en place, deux médecins généralistes, les infirmières, la kinésithérapeute, la psychologue et la diététicienne nutritionniste ont été intégrés dans le parcours.

L’un des généralistes, remplaçant à la MSP et encore non thésé, Sylvain Orsat, s’est proposé pour réserver une journée de son emploi du temps hebdomadaire aux consultations avec les patients inclus. La mise en place de ce protocole et l’étude de ses bénéfices feront d’ailleurs l’objet de sa thèse, qui devrait être présentée en fin d’année.

Focus

La dénutrition, à ne pas négliger !

Le risque de dénutrition est présent chez de nombreux patients atteints de pathologies chroniques (insuffisances cardiaque, respiratoire, rénale et hépatique), de cancers, de pathologies digestives à l’origine de malabsorption et/ou de maldigestion, de troubles de la mastication et de la déglutition, de pathologies infectieuses ou inflammatoires chroniques, de troubles du comportement alimentaire restrictifs ou mixtes, de dépendance liée à des troubles de la mobilité, neurocognitifs majeurs ou à des pathologies neurodégénératives.

 

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Les personnes âgées (de plus de 70 ans) constituent une population à risque en raison de la fréquence des polypathologies. Dans le contexte épidémique, le Covid-19 devient un critère étiologique de dénutrition du fait d’une inappétence sévère, de difficultés à s’alimenter (dyspnée, polypnée) ou encore de fonte musculaire majeure.

Toute perte de poids rapide est le signe d’une aggravation de la vulnérabilité de ces personnes, et le pronostic vital est en jeu si la perte de la masse protéique excède 50 %.

 

spirale de la dénutrition : inter-relation causes et conséquences

Pour l’inclusion, le médecin a parcouru les dossiers des patients ayant contracté le Covid-19, en repérant les facteurs de gravité : l’âge, un indice de masse corporelle (IMC) en dehors des normes, des antécédents de pathologies cardiovasculaires, des problèmes respiratoires, une insuffisance rénale, des antécédents de cancers ont notamment été retenus. Le fait d’avoir été hospitalisé pour Covid-19 entrait également dans la liste. "Tous les facteurs indiquant une possible fragilité ont été pris en compte, résume Sylvain Orsat. Ensuite, les patients ont été triés en fonction du nombre de facteurs de gravité." Ils ont été appelés ou sollicités lors d’une visite à domicile pour être inclus dans le protocole, et 30 d’entre eux ont été enrôlés. Cette limite a été définie au regard d’une enveloppe allouée par la MSP à la prise en charge des consultations non remboursées par l’Assurance maladie. "Nous avons pu dégager 6 400 euros", précise Delphine Franck, aujourd’hui coordinatrice de la structure. Dans le parcours imaginé, si les recours aux séances de kinésithérapie pouvaient se faire dans le cadre d’une prise en charge conventionnelle, il en était différemment pour celles de diététique et de psychologie.

Parcours de soins

Pour les patients qui acceptaient d’être inclus dans le protocole, une consultation était programmée avec Sylvain Orsat. Les premières ont eu lieu début juin. "En général, les patients étaient déjà remis de la maladie depuis un mois, un mois et demi", précise le généraliste. Cette consultation, d’une durée d’environ quarante-cinq minutes, était centrée autour de trois points cliniques :

la diététique : le médecin relevait le poids de forme, ainsi que la perte de poids éventuelle liée au Covid-19, et procédait à un test de dénutrition s’appuyant notamment sur un questionnaire MNA (mini nutritional assessment) ;
l’état psychologique : une échelle HAD (hospital anxiety and depression) était utilisée pour repérer les symptômes dépressifs ou anxieux ;
l’état moteur et respiratoire : Sylvain Orsat procédait à une évaluation sur l’échelle visuelle et analogique (EVA).

Ces trois points étaient étudiés pour orienter les patients vers la diététicienne nutritionniste, vers la psychologue (notamment pour travailler sur l’acceptation de la maladie et les symptômes anxieux) et la kinésithérapeute (pour une prise en charge de la motricité et une rééducation globale, mais aussi pour de la kinésithérapie respiratoire si nécessaire). Pour celle-ci, une prescription était rédigée, comprenant en moyenne cinq séances. Pour les autres professionnels, une discussion s’engageait avec les patients. "Nous avons décidé de leur laisser le choix, explique Delphine Franck. Nous pouvions prendre en charge un maximum de quatre consultations non remboursées, à 40 euros la séance." Une seule contrainte : pour les patients acceptant le parcours de nutrition, trois consultations sur les quatre devaient y être consacrées. "Pour développer mon programme, j’ai besoin de ces trois séances", précise la diététicienne.

À l’issue de cette première consultation, les patients devaient subir un bilan biologique, incluant notamment le dosage de l’albumine, de la préalbumine et de la protéine C réactive (CRP) pour évaluer leur état de dénutrition. Un dosage du fer, du zinc et de la vitamine D était également demandé, notamment parce que ces éléments semblaient associés à des formes graves du Covid-19. Ils étaient aussi invités à prendre rendez-vous selon les termes du parcours choisi.

"Les dossiers étaient disponibles dans mon bureau, et les autres professionnels pouvaient les récupérer. Nous échangions les résultats de cette manière", explique Sylvain Orsat. Certains cas particuliers ont été évoqués lors de réunions pluridisciplinaires organisées toutes les six à huit semaines, mais peu se sont révélés particulièrement complexes.

Une fois le parcours avec les différents professionnels de santé réalisé, une seconde consultation de bilan à six mois était prévue auprès du médecin généraliste, plus courte (trente minutes environ), durant laquelle un bilan était réalisé grâce aux indicateurs de la première consultation.

 

 

Résultats

Pour l’instant, les données brutes ont été récoltées mais n’ont pas encore été interprétées par Sylvain Orsat. Un chiffre ressort néanmoins : aucun patient inclus dans le protocole n’a abandonné en cours de route, ce qui semble indiquer un réel besoin. Ce chiffre a été confirmé par leur satisfaction face à cette prise en charge globale et prolongée. "C’est quelque chose que nous faisons peu en médecine générale, explique Sylvain Orsat. Les patients sont pourtant demandeurs, et ils étaient ravis que nous ayons pris cette initiative, que nous nous occupions d’eux après la maladie." Le tout dans un parcours totalement pris en charge, soit par l’Assurance maladie, soit par la MSP (à l’exception de certaines prescriptions non remboursées, comme le dosage du zinc ou de la vitamine D).

Pour le reste, le médecin généraliste se risque à quelques interprétations préliminaires : "Parmi les patients inclus, aucun n’était dénutri, mais ils étaient tous à risque de dénutrition, explique-t-il. Nous avons également observé beaucoup de symptômes anxieux. Sans doute causés par l’afflux d’information sur le nombre de morts, sur les séquelles mais aussi liés à l’attente, à la méconnaissance de la maladie au moment de l’inclusion." De manière générale, les trois points évalués montraient des signes d’amélioration, et une partie des patients inclus ont choisi de poursuivre une prise en charge avec la psychologue, à leurs frais, à l’issue du protocole.

Les résultats feront également état d’une particularité : les questionnaires ont évolué au fil des prises en charge, reconnaît Sylvain Orsat. "Au début, on connaissait mal les symptômes. Par exemple, l’anosmie et l’agueusie ne sont apparues qu’en cours de route ; comme l’apparition de cauchemars, ou la perte de cheveux chez la femme, dont on parle peu. Dans un premier temps, je les notais dans un coin, mais quand ces symptômes se sont avérés être liés à la maladie, je les incluais au questionnaire."

Un protocole en routine ?

Après la première session d’inclusion, la question s’est posée de prolonger le protocole. Mais, comme l’expliquent les professionnels de la MSP, après la première vague du Covid-19, ils n’ont pas reçu de nouveaux patients développant une forme aiguë. En revanche, l’équipe réfléchit à l’idée d’adapter ce protocole à d’autres pathologies.

"Il pourrait servir de base de travail pour des sorties d’hospitalisation aiguës ou pour des prises en charge de personnes âgées en hospitalisation à domicile", note Delphine Franck. "Il faudrait le garder sous le coude et éventuellement le simplifier pour d’autres pathologies, ajoute Sylvain Orsat. Pour les cancers, par exemple – même si l’hôpital met en général en place des protocoles similaires – mais aussi pour des infections aiguës, comme des pneumonies, etc."

 

Tableau protocole de réhabilitation post-covid-19

 

Fiche d'identité

MSP Galénus de Bartenheim

MSP Galénus de Barthenheim
© MSP Galénus de Bartenheim

 

La maison de santé de Bartenheim (Haut-Rhin) a été créée en 2012, et est organisée en société interprofessionnelle de soins ambulatoires (Sisa).

Elle compte aujourd’hui 5 médecins généralistes, 1 rhumatologue, 1 masseur-kinésithérapeute, 1 diététicienne nutritionniste (également coordinatrice environ 10 heures par semaine), 2 cardiologues, 4 secrétaires, et est associée à un cabinet infirmier et à un laboratoire de biologie médicale.

D’autres professionnels de santé ont des vacations sur le site : 1 psychologue, 2 neurochirurgiens, 2 urologues et 1 médecin du sommeil. La création d’un pôle de cardiologie figure dans les plans de développement de la structure, avec l’arrivée prévue de 5 cardiologues.

En 2020, le seul protocole actif était celui de la prise en charge post-Covid-19. En 2021, deux autres devraient voir le jour : suivi AVK, et lombalgie chronique mécanique.

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