"Non, pas lui…" Cette petite voix intérieure résonne régulièrement chez tous les professionnels de santé amenés à revoir en consultation certains patients bien particuliers. Ces patients difficiles, "heartsink", mettent leur patience à rude épreuve et peuvent susciter de l’agacement, voire du découragement pour certains soignants. En cette période de défiance médicale, difficile de les manquer.

Lors des rencontres nationales de Reagjir, organisées les 3 et 4 juin, le syndicat de jeunes médecins généralistes avait organisé un atelier qui leur était consacré. "Nous nous intéressons au bien-être au travail et à la prévention du burn-out, et parler des patients qui nous irritent et nous mettent sur la défensive nous paraissait important", explique le Dr Marie Bonneau, médecin généraliste et trésorière adjointe du syndicat, présente lors de l’atelier. Car pour certains, la prise en charge de ces patients relève seulement d’un mauvais moment à passer, mais pour d’autres, ces situations présentent un véritable défi professionnel.

"Ne pas étiqueter les patients"

L’atelier a réuni une trentaine de praticiens, invités notamment à définir ces patients par les émotions qu’ils provoquent. "Énervement", "nœud dans l’estomac", patient "anti-médecine, anti-sciences, anti-vaccins", "chronophage", "énergivore", "au comportement horripilant". Une "belle palette d’émotions a été exprimée", note ainsi Marie Bonneau.

Mais ces émotions vont plus loin : "Il y a aussi la peur de mal prendre en charge". Une inquiétude fondée, car chez ces patients, des expressions symptomatiques atypiques peuvent induire les médecins en erreur. C’est donc dans l’intérêt des patients et des professionnels de santé qu’il est nécessaire d’avoir une réflexion autour de ces prises en charge. "Il est important de ne pas étiqueter ces patients, poursuit la généraliste. Le terme de patient heartsink est issu des années 1980, où l’on aimait créer des typologies de patients et des stratégies pour chacune d’entre elle. Mais il ne faut pas les identifier comme problèmes, car ce qui est dysfonctionnel, c’est avant tout la relation entre le patient et le professionnel." Il n’y a en effet pas de profil particulier de patient, à en croire les retours d’expérience des praticiens présents à l’atelier. En revanche, les réactions des professionnels sont similaires.

Groupes de parole

Quelle est alors la limite ? "C’est celle qu’on se fixe, répond Marie Bonneau. Ce qui est parfois compliqué. Lorsque la relation devient impossible, on peut toujours rendre le dossier au patient et l’orienter. Mais dans un désert médical par exemple, l’équation est différente, et ce choix n’est pas anodin."

Plusieurs réponses peuvent s’envisager, au-delà des stratégies individuelles de discussion avec les patients, ou même de résignation lorsque le constat d’impuissance est total. "L’échange avec des confrères s’avère bénéfique, souligne Marie Bonneau. En cabinet de groupe, dans les équipes de soins, en MSP, c’est plus facile de discuter avec d’autres médecins qui ne connaissent pas le patient en question, mais aussi avec les autres professionnels de santé amenés à intervenir dans son parcours de soin."

Des groupes d’écoute existent aussi pour soutenir les professionnels qui se sentiraient en difficulté. Pendant l’atelier, les groupes Balint ont été évoqués. Ce sont des groupes de parole d’une dizaine de soignants, encadrés par deux leaders avec une formation psychanalytique, qui se réunissent régulièrement. Pendant les réunions, les membres peuvent présenter un cas clinique et exposer la relation conflictuelle qu’ils ont pu avoir avec leur patient.

Des groupes de supervision entre pairs existent aussi : ils permettent de rassembler des professionnels de santé autour d’un psychothérapeute. Mais ces groupes, formés par affinités ou par réseau, sont plus difficiles à trouver. Quelle que soit la solution envisagée, la parole et l’écoute de professionnels en difficulté sera bénéfique. Et pour s’engager dans ces discussions, il faudra rompre l’isolement que peut imposer l’exercice libéral.

 

RETOUR HAUT DE PAGE