D’après la conférence de Roger Genet, directeur général de l'Anses 25 mars 2021, invité du cycle 2021 des Tribunes de la santé.

 

Près d’un quart de la mortalité mondiale est liée à l’environnement, d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Une donnée impossible à ignorer, et qui a imposé la prise en compte de la santé environnementale dans les politiques publiques, notamment depuis les années 1990. Un « objet nouveau » comme la qualifie Roger Genet, directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Ce thème de santé environnementale est au cœur de la mission de l’Anses, avec une vision qui se veut détachée de l’unique prisme anthropocentrique. « Il s’agit de protéger l’homme et l’environnement, et non pas l’environnement pour l’homme », note Roger Genet.

Au cœur de la mission de l’Anses figure l’expertise scientifique, située à l’interface entre la production de connaissances scientifiques nouvelles et l’action politique, entre des processus relevant du temps long de la science, d’une part, et des débats publics et politiques motivés par l’urgence et l’émotion d’autre part, débats souvent médiatisés et parfois instrumentalisés. Et cette expertise scientifique, dans des domaines de grande incertitude, est de plus en plus sujette aux critiques lorsqu’elle ne peut pas conclure du fait de connaissances encore incomplètes, ou encore quand elle s’inscrit dans le cadre de processus d’évaluation réglementaires, processus contraints par l’état de l’art des connaissances qui les fondent à un temps t, le pas de temps de révision pouvant paraître long. « Ce sont les règles du jeu, indique Roger Genet. Les règles d’évaluation inscrites dans les processus réglementaires permettent l’innovation et le développement économique. Si elles changent tous les ans, il devient compliqué de mettre des produits nouveaux sur le marché ».

L’évaluation scientifique des risques

L’expertise scientifique produite par l’Anses permet d’établir un état de l’art des données scientifiques et, dans beaucoup de cas s’agissant de santé environnementale, de graduer les niveaux d’incertitudes concernant les dangers, les expositions et in fine les risques pour l’homme, les animaux ou les plantes. « L’expertise telle que nous la menons est au carrefour entre production de connaissances et recommandations d’action pour les pouvoirs publics, sur un vaste champ de risques se rapportant à toutes les expositions auxquels nous sommes soumis dans notre vie quotidienne, sachant que dans les missions de l’agence figurent également des actions de recherche pour renforcer le socle de connaissance, notamment en santé animale, sécurité sanitaire des aliments et santé des végétaux », explique Roger Genet. L’Agence évalue aussi, selon un cadre précis et spécifique défini par la réglementation, les dossiers des industriels pour la mise sur le marché de certains produits règlementés : médicaments vétérinaires, produits phytopharmaceutiques ou biocides, notamment.

L’évaluation scientifique des risques s’inscrit dans le cadre du principe de précaution tel qu’il est défini dans l’article 5 de la Charte de l’environnement, annexée à la Constitution depuis 2005 : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».

Le défi de l’indépendance

Pour évaluer le risque, l’Anses s’appuie sur la littérature scientifique, mais aussi sur des signaux faibles émanant des dispositifs de vigilance qu’elle coordonne, tels les centres anti-poison ou le réseau de vigilance sur les pathologies professionnelles, ou encore captés par des tiers : données scientifiques nouvelles, lanceurs d’alerte, etc. « Nous avons besoin de ces signaux qui font bouger les lignes et nous amènent à reconsidérer l’état des connaissances », insiste le directeur général de l’Anses.

 

Les agences d’expertise ont été construites pour apporter un regard indépendant sur la décision publique

Un point apparaît crucial : l’indépendance. Difficile, pour une agence sous la tutelle de cinq ministères (Environnement, Santé, Travail, Économie, Agriculture) ? Pas nécessairement, pour Roger Genet. Car, rappelle-t-il, les agences d’expertise sanitaire ont justement été construites pour apporter un regard indépendant à la décision publique. Et c’est l’expertise qui doit être indépendante. « Elle doit être protégée de toute influence et de tout conflit d’intérêts. Les 800 à 900 experts externes sur lesquels l’Anses s’appuie sont sélectionnés à partir d’appels à candidature, à en examinant attentivement tant les compétences que les liens d’intérêt potentiels des candidats. L’expertise scientifique menée à l’Anses repose aussi systématiquement sur des collectifs d’experts pluridisciplinaires dans lesquels les avis minoritaires ou contradictoires ont toute leur place. »

Une question se pose ensuite : jusqu’où les recommandations doivent-elles dicter la décision publique ? « Bien d’autres considérations sont à prendre en compte par les décideurs publics, surtout dans les situations de grande incertitude ». La gestion de l’épidémie de Covid-19 en témoigne.

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