Article publié dans Concours pluripro, novembre 2023
 

Il y a des mots ou des expressions qu'on emploie si souvent qu'on en vient à se demander si l'on n'est pas en train d'en vider purement et simplement le sens. Prenons notamment deux des mantras de l'exercice pluriprofessionnel : "décloisonner" et "casser les silos", mots d'ordre qu'on trouve dans la bouche des responsables gouvernementaux, administratifs, syndicaux, académiques ou associatifs à chaque prise de parole, mais qui semblent surtout servir à masquer une forme d'impuissance. Or il est un domaine dans lequel ces mots résonnent encore plus qu'ailleurs : celui de la formation. Pour bien exercer ensemble, les soignants doivent pouvoir se former ensemble : cela tombe sous le sens. Et pourtant, sur le terrain, les initiatives visant à réunir des soignants de professions différentes dans la même salle de formation se heurtent à des obstacles de taille.

"Il y a besoin de formation pluriprofessionnelle tout simplement parce que, dans les faits, l'exercice se construit dans la pluriprofessionnalité, constate avec une simplicité désarmante Hada Soumare, infirmière en pratique avancée (IPA) dans un centre de santé de Seine-Saint-Denis, actuellement en disponibilité. Je trouve dommage qu'il faille attendre d'être confronté à la réalité de l'exercice pour entrevoir son caractère pluriprofessionnel." Voilà, résumé en quelques mots, le drame de la formation pluriprofessionnelle : les soignants sont – et pour de très bonnes raisons – formés à exercer une profession et une seule, mais une fois leur diplôme obtenu, c'est au sein d'équipes pluridisciplinaires qu'ils sont amenés à l'exercer. Et ils n'y sont pas forcément suffisamment préparés.

 

"La dynamique s'est essoufflée"

Un constat que partagent plusieurs professionnels. À l'exemple de Julie Chastang, médecin généraliste dans un centre de santé de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) : "Ce que me disent les internes, c'est qu'on leur a appris les pathologies, mais pas le parcours, explique l'enseignante à Sorbonne-Université. Ils savent ce qu'est l'hypertension, mais ne savent pas à qui adresser, au besoin, un patient qui en souffre. Pour une infection urinaire, ils savent qu'il faut prescrire tel antibiotique, qu'il faut réaliser une bandelette urinaire, mais n'ont appris nulle part le côté pluriprofessionnel de la chose, à savoir que l'infirmière peut réaliser la bandelette et que le pharmacien peut traiter." Le problème, poursuit-elle, c'est qu'on continue à avoir une approche par profession, par spécialité, par organe, "alors que, dans la vraie vie, les problématiques de santé se posent aux patients de manière transversale, et qu'ils ont besoin de s'appuyer sur une équipe".

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Si les professionnels ne sont pas confrontés à la pluriprofessionnalité au cours de leur formation initiale, peut-être peuvent-ils se rattraper grâce à la formation continue ? Malheureusement, dans la pratique, organiser de telles actions à destination de plusieurs professions différentes n'a rien d'évident. "Avant la pandémie, nous avions mis en place le dispositif Form'Avec sur deux thématiques, l'une sur la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et l'autre sur les soins non programmés, se souvient Guillaume Fongueuse, infirmier dans la Somme et viceprésident d'AVECsanté, la fédération des maisons de santé pluriprofessionnelles. Mais la dynamique s'est essoufflée avec la crise sanitaire, et Form'Avec n'a pas été remis en place."

Pour expliquer cet essoufflement, l'infirmier évoque les difficultés pour coordonner les agendas, les problèmes d'indemnisations différenciées entre professions, mais aussi des raisons plus structurelles. "Il n'est pas évident de créer un contenu pédagogique qui soit intéressant pour différentes professions", constate-t-il.

 

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