La première communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) de la région Paca a officiellement vu le jour le 7 décembre 2020 sur le territoire des vallées Champsaur Valgaudemar. Elle fédère une vingtaine de médecins généralistes et un réseau de pharmaciens, d’infirmières, d’aides à domicile, de kinésithérapeutes et de praticiens spécialistes. Pour améliorer le parcours de soins des 11 000 habitants du territoire, les médecins se sont organisés pour offrir des plages de soins non programmés adaptées au besoin de la population. Une convention sera bientôt signée avec les pompiers et le Samu-centre 15 pour accueillir les patients victimes d’accident domestique ou de la voie publique dans les cabinets médicaux afin d’éviter, quand cela est possible, des passages aux urgences inutiles. "L'étincelle qui a concrétisé l’aboutissement de cette CPTS, c’est le Covid, assure le Dr Marc Zecconi, membre de la CPTS Pôle de santé du Champsaur Valgaudemar et élu de l’URPS ML Paca. La crise sanitaire a, en effet, révélé la solidarité entre les professionnels de santé et l’efficacité de la mise en place d’un réseau fédérateur."

135 000 habitants, 1 000 professionnels et un an de travail… Ce sont les chiffres clés de la CPTS du bassin de Thau, en Occitanie, qui a, elle aussi, démarré en décembre. Lentement, les CPTS, censées être 1 000 en 2022 maillent le territoire, pour aider les professionnels de santé à mieux structurer leurs relations. "Sur un territoire, cette responsabilité de la coordination est partagée dans le cadre de la cellule de coordination ville-hôpital, qui réunit des acteurs du soin, des assistantes sociales de l’hôpital, des acteurs administratifs et le coordinateur de la CPTS. Les CPTS ont cette légitimité territoriale, que n’avaient pas les MSP, qui permet à l’équipe de coordination de proposer des protocoles relationnels pour l’ensemble des professionnels du territoire, souligne le Dr Claude Leicher, président de la Fédération des CPTS. Cette légitimité, il faut l’étendre et développer les inter-CPTS car un hôpital peut avoir à ses portes 7 ou 10 CPTS, et elles doivent se parler entre elles."

 

L’urgence : la simplification

Pour autant, la coordination désigne des choses très différentes : coordi­nation d’équipe (assurer la cohésion, les lignes directrices, l’identification et le respect de chacun dans son métier ; coordination du projet avec des missions complémentaires ; coordination de parcours des patients entre l’ambulatoire, l’hospitalisation et les soins de suite… La stratégie nationale 2018­2022 a mis l’accent sur la nécessité de « simplifier et de faire converger les dispositifs d’appui à la coordination territoriale, qui ont pour objet de faciliter le parcours des personnes en situation complexe ». Il est ainsi prévu, depuis juillet 2019, que les dispositifs d’appui aux parcours complexes soient intégrés au sein d’un disposi­tif unique que sont les DAC. En Nouvelle-Aquitaine, par exemple, ces dispositifs d’appui à la coordination correspondent aux plateformes territoriales d’appui (PTA) et proposent un système d’information et un numéro de téléphone uniques par territoire de démocratie sanitaire.

"Quelle est la visibilité des médecins spécialistes dans ces organisations ?, inter­roge le Dr Patrick Gasser, président d’Avenir Spé. On n’est nulle part et pourtant, nous sommes les maillons entre la proximité et l’hôpital. Dans 80 % des cas, les diagnostics sont faits par la médecine spécialisée, qui met en place le projet personnalisé de soins avec le médecin généraliste. Les spécialistes devront-ils sintégrer dans cinq ou six CPTS qui correspondent à leur bassin de chalandise ?" Il plaide plutôt pour le développe­ment d’"équipes de soins spécialisés" qui devraient apporter des réponses en termes d’accessibilité aux soins.

Le temps de coordination doit être un temps dédié, valorisé et reconnu

Autre voix dissonante : celle  du Dr Stéphane Pinard, nouveau président d’Union généraliste, instiga­teur de la MSP de Belle ­Île­ en­ Mer, qui monte une CPTS avec les pro­fessionnels des îles alentour et du continent. "L’urgence n° 1 est la facilité d’installation des médecins généralistes et spécialistes, affirme-­t­-il. L’urgence n° 2 est la simplification (administratif, nomenclature, Rosp, assistant médical parcours de soins…). Le reste suivra : premier recours, deuxième recours, désengorgement des urgences, coordination, CPTS, etc. Il faut prendre soin des soignants, nous laisser un peu de liberté et nous refaire confiance."

La crise sanitaire, un accélérateur de changement

Passer d’un hôpital de séjour à un hôpital de parcours. C’est le fil rouge de la feuille de route du projet d’établis­sement du centre hospitalier d’Albi 2019­2023 qui vise à coordonner les parcours des patients, de l’amont de la prise en charge à l’aval, en partenariat avec les établissements de santé du territoire, les acteurs  de ville et le secteur médico­-social. Première pierre : mise en place d’une plateforme "personnes âgées", avec la création d’un numéro unique permettant d’entrer en contact avec le médecin ou l’infirmière de l’unité mobile de gériatrie, qui opère un pré-­tri des appels et réoriente vers la spécialité la plus adéquate. Pendant la première vague de Covid, cette plateforme a facilité la formation des paramédicaux aux prélèvements et l’orientation rapide des appels vers les médecins infectiologues et les services d’hygiène." Des réunions en visio hebdomadaires permettent à l’ensemble des établissements médico-sociaux du Tarn Nord de faire remonter leurs problématiques et de construire ensemble la prise en charge", précise Élisabeth Vaxelaire, cadre supé­rieure de santé au CH d’Albi.

Afin de fluidifier les parcours, un bed manager travaille sur l’anticipation des entrées et des sorties, en lien avec l’analyse des flux aux urgences." Il est en lien aussi avec les autres bassins de santé, notamment le CHI de Castres- Mazamet. Il assure cette régulation sur l’ensemble des types de lit, y compris pour les soins critiques", indique Aubry Lafon, directeur adjoint en charge des af­faires générales. Des infirmières de coordination (Idec), présentes au sein du pôle chirurgie, s’occupent de la coordination du parcours de santé : prise de rendez­-vous, besoins en spécialités avant une intervention chirurgicale et appel du lendemain pour le retour à domicile. "À ce jour, il n’y pas d’Idec sur le service de médecine, mais notre objectif est qu’à travers cet espace de coordination au sein du CH d’Albi, nous puissions avoir une Idec qui assure la réponse aux libéraux et à l’ensemble des usagers, pour une prise en charge à l’hôpital, pour une orientation ou pour un conseil", explique Élisabeth Vaxelaire.

Focus

Acoorde, la coordination en maison de santé

C’est un peu le disque dur de l’ordinateur du Dr Pierre de Haas : tout ce qu’il faut savoir pour se lancer dans un projet d’exercice coordonné. La plateforme Acoorde, accessible par abonnement, rassemble les expertises sur la gestion des maisons de santé de l’ancien président de la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS, devenue AVECsanté). Les professionnels y trouveront un dossier type de justificatif de l’ACI pour la CPAM, un tableau de calcul de la dotation ACI ou encore des documents pour analyser le niveau de développement du système d’information de leur MSP, pour gérer le matériel, aborder le RGPD ou lancer la télémédecine.

"Nous avons rencontré les représentants des professionnels libéraux via les CPTS, en particulier celles du Grand Gaillacois et du Tarn Centre, ainsi que des représentants des médecins libéraux d’Albi. Nous avons défini avec eux des parcours prioritaires en gériatrie, pédiatrie, cardiologie, diabétologie et neurologie", précise Aubry Lafon. L’ARS a mandaté un cabinet pour travailler avec les établissements volontaires sur la coordination des parcours, qui seront présentés en commission des usagers. Prochaine étape : com­muniquer auprès de l’ensemble des acteurs du territoire pour mettre en exergue le fonctionnement de ce nouvel espace de coordination.

 

Le service infirmier d’orientation comme pivot entre la ville et l'hôpital

Infirmière et spécialiste clinique, Louise Ruiz exerce en tant que libérale dans la Loire et dans un organisme de formation continue. Secrétaire générale adjointe de l’URPS, elle est l’instigatrice du ser­vice infirmier d’orientation (SIO), projet dont la mise en œuvre a été accélérée par la crise. Cette cellule de coordination, financée par l’URPS, fonctionne depuis le 6 avril dernier, avec un numéro d’appel unique régional réservé aux professionnels. Aujourd’hui, 60 infirmières orien­teuses réparties sur les trois pôles de garde de Saint­ Chamond (Loire), Clermont ­Ferrand (Puy­ de­ Dôme) et Annecy (Haute­ Savoie) se relaient de 9h à 19h30, 6 jours sur 7, pour réceptionner les appels et rechercher des infirmières disponibles sur le secteur de la demande, en privi­légiant, le cas échéant, l’infirmière habituelle du patient. "Nous faisons face de plus en plus à des soins non programmés et à des situations complexes pour la continuité des soins, explique Louise Ruiz. Quand le Covid est arrivé, nous avons décidé de ne pas attendre plus longtemps pour lancer le projet. L’expérimentation départementale a été tellement utile que, la deuxième vague arrivant, nous avons précipité sa régionalisation le 9 novembre."

Les appels proviennent des professionnels hospitaliers ou libéraux, des assistantes sociales, des Ehpad ou de laboratoires, alors que 80 % des in­firmières libérales de la région sont inscrites sur la plateforme. Contactées par SMS, elles répondent aux demandes sur la zone d’intervention qu’elles ont définie. Un système gagnant­-gagnant. Le SIO rappelle en­ suite le demandeur pour lui signifier que la prise en charge a eu lieu."C’est chronophage, mais on a l’assurance que la solution mise en place est adaptée, évitant des réhospitalisations et des tracasseries", souligne Louise Ruiz. Elle en est convaincue, "le SIO valorise le rôle du médecin généraliste en tant que pivot. De fait, avec le poids des pathologies chroniques, la coordination simpose pour les infirmières. Nous sommes en relation étroite avec le médecin traitant et il n’y a pas de rôle parcellaire. Cette complémentarité se retrouve aussi dans la coordination". L’objectif est que le SIO devienne un maillon de l’organisation régionale, voire nationale, avec un financement pérenne. Les discussions sont en cours avec l’ARS et la CPAM, et un dossier sera bientôt envoyé au ministre de la Santé.

Profession : coordinateur

Depuis plusieurs années, le métier de coordinateur prend son  envol, et plus encore depuis la signature de l’accord conventionnel interprofes­sionnel (ACI) en 2017, qui permet aux équipes de soins primaires de fi­nancer cette fonction. Professionnel de santé ou non, à temps partiel ou à temps plein, travaillant avec une ou plusieurs équipes, le coordinateur remplit des tâches diverses, de la planification de réunions à la gestion comptable de la structure, en passant par le suivi d’actions du projet de santé et la gestion des relations exté­rieures. Un rôle crucial, car c’est lui elle, le plus souvent – qui impulse une dynamique d’équipe pour mener à bien projets et actions.

Infirmière de profession et titulaire d’un master en organisation de santé sur les parcours de soins, Adeline Delobbe est, depuis juin 2020, coor­dinatrice "parcours" à l’association Espace vie, qui accompagne et fédère dix CPTS de l’Essonne. Huit d’entre elles ont signé l’ACI mi­-décembre 2020. "Sans Espace vie et sans les coordinateurs, les professionnels seraient sans doute encore en train de rédiger l’introduction de leur projet de santé, qui fait plus de 800 pages. C’est un énorme travail ! », lance­-t-­elle. Chargée de l’animation des groupes de travail et de la mise en place du projet de santé de quatre CPTS sur la partie ouest du département, elle contribue aussi à l’amélioration du lien ville­-hôpi­tal. Chaque semaine, elle se rend dans les hôpitaux partenaires pour accompagner les professionnels à l’utilisation de l’outil entr’Actes pour les sorties d’hospitalisation (voir ci-contre). Auparavant responsable d’une plateforme départementale gérontologique qui assurait la coor­dination des intervenants à domi­cile, elle espère désormais participer au décloisonnement avec le secteur médico-social.

Témoignage

Keymed, un prestataire en coordination

Ancien contrôleur de gestion, Karim Jaaouani, qui a suivi à l’EHESP la formation sur la coordination des équipes de soins primaires, s’est associé à sa femme, Amina Fouzai, médecin généraliste et médecin du sport, pour créer en 2018 la start-up Keymed. Spécialisée en coordination des MSP et CPTS, la société accompagne les équipes de soins primaires dans la définition et la mise en place de leur projet de santé, mais aussi sur le plan administratif, financier, juridique."C’est un mix entre du conseil, de l’assistance, de la conciergerie… Il s’agit aussi d’animer la dynamique de l’équipe", souligne Karim Jaaouani, qui intervient, avec les six autres coordinateurs de son équipe aux profils variés, auprès d’une quinzaine de structures (MSP et CPTS) en Île-de-France."C’est une profession qui n’est pas toujours considérée. Beaucoup de coordinateurs, qui travaillent auprès de plusieurs équipes, sont surchargés de travail. Ici, le coordinateur n’est pas seul et isolé." Le projet trouve sa source dans l’expérience de terrain, le couple ayant monté en parallèle la maison sport-santé Uni’Med à Neuilly-Plaisance (Seine-Saint-Denis), première MSP labellisée sport-santé.

 

Autres compétences, autre profil : celui d’Olivier Laquevre, ancien directeur départemental de l’associa­tion Aides et coordinateur du pôle de santé pluriprofessionnel Cosse, qui fédère 80 professionnels libé raux sur l’agglomération Seine­ Eure."Je me vois comme un facilitateur entre les uns et les autres pour leur permettre de développer leurs actions, et notamment des protocoles d’ETP", avance­-t­-il.

La formation Pacte soins primaires (Programme d’amélioration conti­nue du travail en équipe de soins primaires), développée par l’EHESP et ses partenaires à destination des coordinateurs des structures d’exer­cice coordonné, cible ce métier émergent en cours de définition. Avec deux objectifs principaux : renforcer les compétences en termes de conduite du changement, de gestion de projet et d’animation d’équipe, de gestion juridique et financière et de démarches qualité, mais aussi, mettre en perspective, à travers  une approche de santé publique, l’organisation des regroupements pluriprofessionnels au regard des évolutions du système de santé et des enjeux en termes de responsabi­lité populationnelle, de respect des droits des patients et d’optimisation des parcours.

"À partir d’un pool de ressources commun, disponible sur une plateforme accessible aux coordinateurs en formation, aux formateurs-relais en régions et aux partenaires régionaux (notamment les ARS), on adapte les façons de déployer ces ressources à chaque apprenant pour que cela réponde à ses réalités du quotidien. Cela vient compléter ce que développent les fédérations d’AVECsanté et d’autres acteurs (FNCS, URPS) lorsqu’elles ont des facilitateurs qui accompagnent les équipes, indique le Dr Béatrice Allard­Coualan, chargée d’accompagner les formateurs­-relais de Pacte. L’équipe devient alors le terrain de stage du coordinateur en formation. Par son engagement et sa participation aux travaux du coordinateur en formation, l’équipe pluripro, via Pacte, contribue d’une autre manière à la structuration du système de santé."

Le financement est assuré par une décision ministérielle d’allocations de montants qui viennent abonder le fonds d’intervention régional (FIR) des ARS, qui décident ensuite de conventionner avec les partenaires régionaux et l’EHESP pour pou­voir déployer Pacte. L’ensemble des régions sont aujourd’hui engagées dans ce programme (3 séminaires présentiels par an, la rédaction et la soutenance d’un mémoire), sanc­ tionné par l’équivalent d’un diplôme universitaire, et près de 400 coor­donnateurs ont été formés. Sous la responsabilité de François­-Xavier Schweyer, responsable pédagogique, Pacte s’est aussi déployé dans son aspect études et recherche afin de clarifier de nom­breuses notions comme l’identité du coordinateur de MSP. Béatrice Al­lard-­Coualan l’assure : "Pacte est un outil essentiel pour une professionnalisation de la fonction de coordination, et pour une coordination plus pertinente et ancrée sur le territoire, afin de limiter les ruptures de parcours du patient et de faire en sorte qu’on ne reproduise pas une méthodologie cloisonnante."

La crise sanitaire a révélé la solidarité entre les professionnels de santé et l’efficacité de la mise en place d’un réseau fédérateur

Comment envisager cette fonction  de coordinateur à l’avenir ? Pascal Gendry, médecin généraliste à Renazé (Mayenne) en est convaincu, "Il faut continuer à professionnaliser cette mission : le temps de coordination doit être un temps dédié spécifique, valorisé et reconnu par l’équipe et par les institutionnels. Mais il faut aussi donner un statut à ces coordinateurs, les intégrer dans les principes de base d’une MSP." Car la maturité de l’équipe et la fonction de coordinateur vont de pair, affirme­-t­-il : "Plus le coordinateur est reconnu dans ses fonctions, plus la MSP sera reconnue. Et plus la MSP est reconnue, plus elle aura besoin d’un coordinateur reconnu." Mais il faut clarifier les missions : bien qu’il existe des similitudes dans la méthodologie (animation d’équipe, organisation de région, écriture d’un protocole, etc.), le coordinateur de MSP n’est pas un coordinateur de CPTS : "Les objectifs n’étant pas les mêmes, les interlocuteurs qui composent ces structures étant différents, la fonction de coordinateur n’est pas la même", insiste-­t­-il.

Formaliser cette fonction de coor­dinateur implique également de la repenser, parallèlement au mana­gement global de la structure, no­tamment par rapport au leadership et aux principes de gouvernance. "Mais pour cela, il faut continuer à progresser sur la formation", affirme Pascal Gendry. En ce sens, une for­mation à destination des coordina­teurs de CPTS devrait peut-­être voir le jour courant 2021, assurée par l’URPS médecins libéraux Paca.

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