Billet de François-Xavier Schweyer, sociologue et chercheur

L'organisation des soins primaires, en devenant plus complexe et plus instable, nécessite le déploiement d’activités de coordination qui se professionnalisent (formation, fiche de poste, associations de coordinateurs). Ainsi émerge un métier de coordinateur de regroupement de soins primaires qui est aujourd’hui très féminisé : 86 % des diplômés de la formation Pacte soins primaires sont des femmes, sex-ratio quasi inverse de celui des leaders (71 % d’hommes, souvent médecins). Doit-on en conclure que la fonction de coordination est un métier féminin ?

Dans la moitié des cas, la coordination d’équipe est assurée à temps partiel par des professionnels de santé en exercice et, pour un tiers, par des secrétaires médicales ou cadres administratifs. La féminisation du secteur de la santé ou de celui des services administratifs se retrouve par homologie dans le métier de coordinatrice. La division sexuée du travail fait-elle pour  autant de la coordination un métier de femme ? Poser cette question, c’est se demander quels sont les effets du genre sur la conception et le développement du métier.

Dans les équipes de soins primaires, la coordination a été d’abord conçue comme une fonction d’appui aux leaders. Avec une division du travail genrée peu interrogée alors qu’elle est fondamentale.  Organiser les réunions, faire les comptes-rendus, anticiper la logistique, animer le collectif de travail sont des activités au service de l’équipe, pas toutes repérables car souvent interstitielles. La coordination demande des compétences relationnelles, de gestion, de diplomatie, de persévérance qui peuvent être perçues par les équipes comme "naturelles" quand elles sont exercées par une femme. Certaines coordinatrices les intériorisent comme telles en filant la métaphore du rôle maternel par rapport à leur jeune équipe, qui demande soin et attention. A contrario, des coordinateurs hommes insisteront sur le "dur" : le juridique, le financier, le management. L’enjeu des stéréotypes de genre est de naturaliser les compétences nécessaires au travail de coordination (vues comme proches de la sphère domestique) et ainsi de contribuer à les rendre invisibles. Ne pas prendre conscience de la professionnalité de la fonction, c’est exposer les coordinatrices au risque de considérer comme "normales" des situations de travail précaires (temps très partiel, statut transitoire, absence de lieu de travail attitré, etc.). Les récits du travail quotidien laissent voir des relations souvent dominées, déséquilibrées où il ne faut ni déranger ni contraindre, mais attendre le bon moment, s’adapter et convaincre.

La coordination consiste aussi à gérer des rapports sociaux dans un processus de changement

Or la coordination ne se limite pas à la résolution de problèmes pratiques, elle consiste aussi à gérer des rapports sociaux dans un processus de changement. Il s’agit en effet de rendre compatibles les logiques des professions de santé avec les instruments du nouveau management public qui structurent de plus en plus leurs activités. Les coordinatrices ont pour mission de développer une forme de discipline sociale nécessaire à l’exercice coordonné mais historiquement étrangère à la médecine libérale. Les libéraux sont des indépendants qui n’ont pas spontanément envie de travailler dans une organisation, et les logiques professionnelles qui fondent les pratiques sont définies en silos, avec des enjeux de concurrence/complémentarité. Les soins coordonnés pluriprofessionnels instaurent donc un changement qui demande un effort collectif pour s’inscrire dans une dynamique de transformation des pratiques qui intègrent peu à peu le travail d’articulation, d’animation et de gestion.

Dans cette perspective, la coordination n’est pas un "métier de femme" tel que défini par Christelle Avril et Irene Ramos Vacca, c’est-à-dire un métier qui implique de faire "ce qui reste à faire", ce qui n’a pas été effectué par d’autres. Mais une vigilance s’impose par rapport aux stéréotypes de genre qui pourraient freiner la reconnaissance d’une réelle professionnalité fondée sur des compétences et  masquer les difficultés rencontrées sur le terrain.

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