En guise de reconnaissance, il peut arriver qu’un patient souhaite remercier son soignant en lui léguant un bien ou en lui donnant une somme d’argent. Un geste qui risque de paraître suspect pour l’entourage et aux yeux des héritiers en cas de décès de ce patient, comme l’a récemment rappelé un arrêt de la Cour de cassation du 16 septembre 2020.

Dans cette affaire, une femme de 80 ans, veuve et sans enfant, a fait, deux ans avant son décès, un testament dans lequel elle lègue à son infirmière sa maison et tout son mobilier, sa voiture, deux parts d’une SCI, des comptes bancaires et le contenu d’un coffre-fort pour un montant estimé à 850 000 euros, laissant à son frère un immeuble familial à Paris d’une valeur de 2,7 millions d’euros.

Malgré cet héritage non négligeable, le frère de la victime va contester en justice la capacité de cette infirmière à bénéficier d’un legs en invoquant une emprise psychologique de la soignante sur sa soeur, et en s’appuyant sur l’article 909 du Code civil. Selon cet article, « les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt, ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu’elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci ».

Recherche de preuves

Un premier jugement, confirmé en appel, va conclure à une absence de preuve d’une emprise de cette infirmière sur sa patiente et à une absence d’incapacité pour cette soignante à recevoir un legs, alors même que cette patiente ne souffrait pas de troubles mentaux susceptibles d’invalider son testament. Pour mieux comprendre le contexte de cette affaire, il faut préciser que cette infirmière libérale entretenait des liens étroits avec sa patiente : après avoir pris en charge son mari, décédé depuis, elle était hébergée à titre gratuit dans la propriété de sa patiente depuis une dizaine d’années. Pour le frère de la victime, sa soeur a été abusée et isolée de sa famille, la testatrice indiquant qu’elle considérait cette soignante comme sa fille.

Pour donner raison à cette infirmière, le tribunal et la cour d’appel ont considéré que l’article 909 du Code civil ne pouvait s’appliquer car, à la date du testament, ni la défunte ni l’infirmière n’avaient connaissance du caractère malin de la masse au niveau du sinus maxillaire et de la fosse nasale droite, donc de l’existence d’un cancer. Il ne pouvait ainsi être retenu qu’à la date du testament, l’infirmière apportait des soins pour la maladie dont sa patiente est décédée.

Saisi en dernier recours par le frère de la défunte, et après six années de procédure, la Cour de cassation, par un arrêt du 16 septembre 2020, en a jugé autrement en estimant que la cour d’appel avait commis une erreur de droit en prenant en considération la date du diagnostic, ce qui l’a conduite à ajouter une condition supplémentaire aux dispositions rappelées par l’article 909 du Code civil. Pour la Cour de cassation, la maladie était bien présente au jour de la rédaction du testament, et la date du diagnostic importait finalement peu.

Une interdiction de principe

Pour le Conseil national de l’Ordre des médecins, un médecin ne doit en aucune circonstance pouvoir être suspecté d’avoir profité de son statut professionnel et de l’influence qui en découle pour tirer un avantage matériel quelconque de la part de son malade. Au même titre qu’un infirmier ne doit pas user de sa situation professionnelle pour tenter d’obtenir pour lui-même ou pour autrui un avantage ou un profit injustifié ou pour commettre un acte contraire à la probité, tient à rappeler l’article R4312-54 du code de la santé publique.

Si, pour les soignants, l’interdiction ne concerne que les personnes intervenues pendant la dernière maladie, en dehors de ce cadre, il convient de rester prudent. À l’exception de présents sans valeur, symboles de leur reconnaissance, il est recommandé aux médecins comme aux autres soignants de tenter de dissuader leurs patients de leur faire des dons, et de prendre conseil auprès de leur Ordre, d’un avocat ou d’un notaire avant d’accepter un cadeau… empoisonné !

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