Article publié dans Concours pluripro, mai 2023
 

Matthieu Lépine
Matthieu Lépine © M.L.

Son engagement naît en janvier 2016 d'une phrase d'Emmanuel Macron, alors ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, qui affirmait que l'entrepreneur "prend tous les risques" et "peut tout perdre", contrairement aux salariés. Ce qui déclenche chez Matthieu Lépine, professeur d'histoire-géographie dans un collège Rep+ de Montreuil (Seine-Saint-Denis), "l'envie d'aller vérifier", raconte-t-il : "Que veut dire prendre tous les risques ? Dans ma tête et celle d'autres personnes, tout perdre, c'est plutôt perdre la vie." De lectures en recherches sur internet, il commence à publier sur son blog, "Une histoire populaire", des articles sur des ouvriers morts au travail "dans l'indifférence générale".

L'Hécatombe invisible, enquête sur les morts au travail
   L'Hécatombe invisible,
   enquête sur les morts
   au travail, 
éditons Seuil,
   mars 2023

Premier constat : mis à part les représentants des forces de l'ordre, la plupart des morts au travail sont peu médiatisés. Et quand ils le sont, ils sont traités comme des faits divers et de manière très succincte dans la presse locale. Ce qui empêche de percevoir ce qui aurait pu les éviter mais aussi, surtout, "de voir ce qui fait système", ajoute celui qui estime que les décès au travail sont invisibilisés par le monde politique, qui les présente tantôt comme des "dommages collatéraux" inévitables, en minimise le nombre ou évoque sa stabilité. "C'est faux. Il n'y a pas de stabilité. Il y a même une progression de 40 % du nombre de morts entre 2005 et 2019." Et beaucoup sont évitables.

Évaluer le nombre de personnes qui décèdent dans le cadre de leur travail s'avère compliqué. Les 339 recensés en 2022 par Matthieu Lépine en écumant la presse locale sur le Web sont bien en deçà de la réalité. La Dares du ministère du Travail en a dénombré 790 en 2019. Selon Matthieu Lépine, le nombre de travailleurs décédés cette année-là atteindrait plutôt 896. Car il faut en effet compiler les données des régimes d'Assurance maladie des salariés du privé, du monde agricole, des marins pêcheurs et des fonctions publiques. Et ajouter les auto-entrepreneurs ou les travailleurs sans papiers et détachés, non comptabilisés. En Europe, écrit-il, "c'est en France qu'on meurt le plus au travail, avec 3,53 accidents mortels pour 100 000 personnes en activité" (source : Eurostat) et la France est le seul pays de l'Union européenne où le nombre de morts au travail augmente…

Les impératifs de rapidité et de rentabilité font trop souvent passer la sécurité au second plan
RETOUR HAUT DE PAGE