* Jacques Chatillon, chef du département ingénierie des équipements de travail, INRS
Patrick Chevret, responsable du laboratoire Acoustique au travail, INRS

 

Dans l’esprit de chacun, un open space est un local de travail du secteur tertiaire, de grandes dimensions, sans cloison de séparation et principalement affecté à une activité de bureau, souvent une activité d’appels téléphoniques. Même si cette définition simple permet de fixer un cadre, elle doit être précisée dans une optique ciblée d’évaluation des risques et d’amélioration des conditions de travail.

L’Association française de normalisation (Afnor) propose une définition fondée sur des critères facilement vérifiables : « Un open space est un espace de travail conçu pour accueillir plus de cinq personnes sans séparations complètes entre les postes. » De ce point de vue, environ un quart des salariés français travaillent aujourd’hui dans ces conditions. C’est plus de 80 % dans certains pays anglo-saxons.

Dans une norme de 2016(1), l’Afnor propose une typologie en fonction de l’activité fondée sur les interactions verbales entre les salariés et sur leur charge cognitive. Elle fait apparaître quatre catégories : les centres d’appels où l’activité principale est une activité téléphonique, les espaces collaboratifs qui sont des lieux d’échange pour les salariés, lieux favorables à des activités de type projet, les espaces non collaboratifs dont l’activité individuelle nécessite une forte concentration, et les halls d’accueil du public. En fonction du type d’open space, il existe, selon cette norme, des enjeux acoustiques différents qui nécessitent un traitement différencié de l’aménagement des bureaux et de l’activité(2).

Plus récemment encore, les experts de plusieurs pays ont proposé une norme internationale calquée sur la norme française citée plus haut, en élargissant aux espaces de travail multi-activités, appelés en anglais « activity based offices ». Dans ce type d’espace de travail, plusieurs activités de travail, ou de détente (salle de jeux, de repos), peuvent cohabiter. Les salariés pouvant se déplacer au cours de la journée en fonction de l’activité qu’ils exercent, le mot d’ordre est la flexibilité, tout en les regroupant par activités similaires. La flexibilité se retrouve dans d’autres modes d’organisation. Par exemple, les bien nommés « flex offices » dans lesquels les salariés n’ont pas de place attitrée, se remarquent notamment, quand on les visite, par l’absence de personnalisation du lieu de travail.

Dans le monde de l’open space, la modernité est effectivement synonyme de flexibilité. Les enjeux écologiques (réduction des émissions de CO2 liés aux transports), économiques (réduction des coûts immobiliers dans les grandes villes), sanitaires (limitation de contacts physiques entre les personnes), sociétaux (conciliation avec les contraintes personnelles ou familiales) vont dans le sens de la flexibilité. Le télétravail est l’un des moyens pour y parvenir. Les open spaces ne sont pas pour autant condamnés à moyen terme, ne serait-ce que parce que tout le monde ne peut pas travailler chez soi. Par conséquent, la prévention vis-à-vis des risques pour la santé des salariés reste de mise.
 

Quels sont les risques encourus ?

Dans toutes les enquêtes récentes réalisées auprès des salariés des open spaces, le bruit est cité comme la principale source de nuisance : seulement 5 % des salariés disent ne pas être gênés du tout par le bruit alors que plus d’un quart se disent très gênés(3).

La directive européenne « Bruit » 2003/10/CE fixe des valeurs d’action à l’exposition au bruit et instaure une valeur limite. Ces valeurs ont été transposées en droit français par le décret 2006-892 du 19 juillet 2006 modifiant le code du travail et l’arrêté du 19 juillet 2006. La valeur inférieure du seuil d’exposition est fixée à 80 dB(A) sur huit heures. À partir de cette valeur, l’employeur doit mettre à disposition des travailleurs des protecteurs auditifs individuels adaptés, et doit leur permettre de bénéficier, sur leur demande ou sur demande du médecin du travail, d’un examen audiométrique préventif. Dans tous les cas, dès que l’exposition sonore peut présenter un risque pour la santé des salariés, l’employeur doit mettre en place un plan de mesures collectives pour diminuer le bruit.

Dans un open space, le niveau sonore est modéré, en comparaison des niveaux du bruit industriel : il est souvent de l’ordre de 50 à 60 dB(A). Les sources de bruit sont diverses : équipements informatiques (ordinateurs, imprimantes, baies de stockage), systèmes de ventilation de l’air ou de régulation de la température. On entend aussi les bruits de passage, les sonneries de téléphone, le brouhaha des conversations.
Certains des bruits engendrés par ces sources sont stationnaires, d’autres sont intermittents, comme les bruits d’équipements informatiques, les claquements de portes, les bruits de passage. Les conversations intelligibles entrent également dans cette catégorie. Elles perturbent l’attention des salariés lors de la réalisation d’une tâche qui nécessite de la concentration. Pour maintenir un niveau de performance constant, ceux-ci doivent alors compenser par un effort intellectuel qui ajoute une charge cognitive à celle déjà requise pour effectuer la tâche de travail prescrite.

Ceci peut se traduire par une baisse de performance pour l’entreprise. Pour le salarié, c’est de la fatigue cognitive qui s’ajoute à un éventuel stress, pouvant se traduire sur le moyen terme par toutes les conséquences bien connues du cumul de ces difficultés : perte de sommeil, mal-être, dépression... Selon une étude scandinave de 2011, le nombre d’arrêts de travail en open space serait deux fois plus élevé qu’en bureau individuel(4).

 

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