D’après la conférence de Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP, le 20 décembre 2018, à l'occasion du cycle 2018 de la Chaire Santé SciencesPo "La 'révolution' hospitalière : 1958-2018". 

Les progrès thérapeutiques étant imprévisibles (l’arrivée des antiprotéases dans l’hépatite C, la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux), Martin Hirsch s’appuie, pour cet exercice de prédiction, sur les transformations profondes du système de santé déjà à l’œuvre et qui devraient s’intensifier d’ici 2028 : augmentation de la part des maladies chroniques ; virage ambulatoire, en chirurgie (en moins de cinq ans, l’AP-HP est passée de 1 patient sur 4 en chirurgie ambulatoire à 4 sur 10) et en médecine, bien que celui-ci soit contrarié par la tarification actuelle (le passage d’un patient en ambulatoire représente une perte financière pour l’hôpital, ce qui amène à hospitaliser pour d’autres raisons qu’un strict besoin médical).

Faudra-t-il supprimer des lits, comme le demandent les autorités de tutelle  ? Selon une enquête sur l’intérêt des hôtels hospitaliers, les médecins hospitaliers pensent que 25 à 30 % des patients hospitalisés n’ont pas à passer la nuit à l’hôpital, mais "il faut aussi adapter les capacités de l’hôpital afin qu’il puisse accueillir les patients en attente de prise en charge. D’un côté, des séjours qui peuvent devenir ambulatoires, de l’autre, des tensions sur l’aval des urgences : c’est ce double mouvement qu’il faut gérer !" L’AP-HP devra développer l’hospitalisation à domicile, diversifier ses formules d’accompagnement du patient, et ses systèmes de tarification.

Administrée publiquement dès le milieu du XIXe siècle, l’Assistance publique, renommée depuis Assistance publique-Hôpitaux de Paris, est devenue au fil de ses acquisitions successives d’hôpitaux le plus grand hôpital universitaire français et même européen, tout en gardant une identité forte "assistance publique". Mais elle a surtout pâti et aggravé les inconvénients de cette grande taille (centralisation, lourdeur administrative), sans chercher à en tirer les avantages. Pourtant, elle pourrait exploiter sa moindre sensibilité aux imprévus (par exemple, fermer un bloc ou un service en cas de légionellose, et report des interventions dans un autre hôpital de l’AP-HP, à condition d’une bonne coopération entre ses établissements), développer des infrastructures de pointe pour une recherche de qualité, mettre en commun un entrepôt de données (par exemple plateforme génomique), à condition d’un système d’information identique.

Une AP-HP moins fermée sur elle-même

Auteur en 1990 d’un rapport sur la déconcentration du siège de l’AP, et constatant lors de son arrivée à son poste en 2013, que cette question n’avait pas été réglée, Martin Hirsch a souhaité installer le siège de l’AP au cœur de l’hôpital Saint-Antoine et a donné plus d’autonomie de décision à chaque hôpital ; mais construire des outils communs suppose de "modifier les équilibres de décision et de consultation dans un ensemble habitué à une fausse centralisation". Pour qu’en 2028 l’AP-HP soit moins fermée sur elle-même et moins éloignée des autres acteurs du système de santé, l’hôpital et la ville devront travailler ensemble (sans faire d’hospitalocentrisme) : déjà, les médecins hospitaliers prennent conscience de la nécessité de travailler différemment avec la ville et les centres de santé : "Dans beaucoup de pays, les hôpitaux sont désormais des mini-centres de santé intégrés." 

L’AP-HP devra renouer avec la garantie d’un égal accès à des soins de qualité et à l’innovation, revoir les conditions statutaires et les rémunérations (une demande que les acteurs doivent porter eux-mêmes). Martin Hirsch souligne que l’insatisfaction du personnel hospitalier (en dépit de la fierté de travailler à l’AP-HP), sans être une spécificité française (elle concerne aussi d’autres hôpitaux très réputés, comme le Johns Hopkins, à Baltimore, Maryland), est liée à des facteurs historiques : "Nos organisations, nos choix de management ont peu bougé depuis les ordonnances Debré, et ne sont plus adaptés aux aspirations des uns et des autres. À nous de réinventer un mode de travail différent." 

Pour sortir de l’équation "plus de postes avec les mêmes contraintes financières", il compare la situation de l’AP-HP à celle des dix plus grands hôpitaux européens : leur système de financement est identique, leurs coûts proches, mais avec un nombre d’infirmiers par lit plus élevé, une organisation des soins différente, une durée de séjour plus courte, et moins de souffrance au travail ! Martin Hirsch veut agir sur les conditions de travail et la qualité des soins pour redonner espoir aux soignants. "On nous demande de stabiliser la masse salariale pendant cinq ans, les effectifs du siège seront réduits, ainsi que le nombre d’agents dédiés aux fonctions support (grâce à la digitalisation), et les services seront réorganisés, afin que la diminution du nombre d’infirmières ne se traduise pas par un nombre plus élevé de lits par infirmière." 

L’AP-HP en 2028 ? Une structure fédérale, des hôpitaux intégrés avec les autres acteurs de santé, avec des outils communs, des organisations de travail plus souples, exerçant moins de pression sur le personnel soignant.

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