Après avoir été grièvement blessés au cours de la Première Guerre mondiale, le colonel Picot (blessé le 15 janvier 1917), qui se serait lui-même surnommé "Gueule cassée", Bienaimé Jourdain (le 1er juin 1915) et Albert Jugon (le 16 septembre 1914) fondèrent, en 1921, avec une quarantaine d’autres camarades, l’Union des blessés de la face et de la tête (UBFT) pour venir en aide aux blessés atrocement défigurés lors d’une action de combat (ils furent 15 000 après la Grande Guerre) et faire reconnaître leur droit à réparation (la loi du 31 mars 1919 ne reconnaissait pas le préjudice spécifique causé par la défiguration). Outre les victimes de guerre, l’association élargit en 2006 la qualité de ses membres aux victimes d’une action de maintien de l’ordre ou de protection civile (pompiers, douaniers et policiers blessés en service), aux victimes d’un acte de courage et de dévouement (devoir humanitaire ou social) ainsi qu’aux victimes d’attentat. Ils ont pour devise : Sourire quand même, le titre de leur magazine trimestriel.
Grâce aux ressources tirées de dons et legs, et surtout de son actionnariat de La Française des jeux (ses membres créèrent dans les années 1930 les dixièmes de la Loterie nationale, et furent, en 1976, les promoteurs du Loto), l’association leur apporte une assistance morale et matérielle, participe aux oeuvres humanitaires, engage des actions liées au devoir de mémoire (création de la fondation du souvenir de Verdun, etc.) et, "en hommage à tous les médecins et infirmières qui ont permis à des milliers de Gueules cassées de revivre avec assurance", contribue à la recherche en chirurgie maxillo-faciale et au développement des techniques de réparation dans ce domaine. Elle s’est adjoint, en 2001, la Fondation des Gueules cassées, qui a vocation à assurer la relève de l’association (du fait du déclin, inexorable mais heureux, du nombre de ses membres).
Des cellules de la pulpe dentaire pour réparer les os de la face ou du crâne
Cette fondation soutient les institutions s’intéressant en priorité à la traumatologie crânio-maxillo-faciale et à ses séquelles, et aussi aux pathologies d’origine malformative ou tumorale, et aux maladies dégénératives affectant le fonctionnement cérébral (partenariat avec la Fondation pour la recherche sur Alzheimer [IFRAD] et l’Institut de la mémoire et de la maladie d’Alzheimer [IM2A]), la fondation ayant décidé en 2011 de s’intéresser "non seulement au contenu de la boîte crânienne mais aussi au contenant". Dans le cadre de ce mécénat, elle finance des projets d’équipement d’établissements spécialisés.
Elle lance des appels à projets de recherche (actuellement environ 80 retenus par an) et attribue un prix annuel depuis 2002 aux équipes ayant une activité de recherche régulière (en odontologie, en chirurgie – greffe de trachée artificielle à l’hôpital Marie-Lannelongue –, en neurologie…). Après avoir récompensé, en 2011, l’équipe du Pr Bruno Gogly, odontologiste à l’hôpital Albert-Chenevier, pour ses travaux sur l’utilisation du fibroblaste gingival en médecine régénérative, la fondation remet à l’honneur, en 2018, la médecine régénérative grâce aux travaux menés depuis dix ans pour régénérer la dent ou l’os afin de combler une lésion crânio-faciale (sachant que les greffons autologues ne permettent pas d’avoir des quantités suffisantes d’os) par l’équipe de Catherine Chaussain, praticien hospitalier à l’hôpital Bretonneau et professeur à la faculté de chirurgie dentaire de l’université Paris-Descartes, et financés par la Fondation des Gueules cassées…
Ce qui "a permis de recourir à des techniques de grande qualité (plateforme d’imagerie, avec microscanner, TEP-scan avec traceurs de l’angiogenèse), qui ont accéléré notre compréhension des mécanismes fondamentaux de la régénération", explique celle qui, après une thèse sur la reconstruction dermique grâce aux cellules gingivales et un post-doctorat à l’université de l’Illinois où elle étudia les protéines de minéralisation de la matrice extracellulaire de l’os et de la dent, eut l’idée d’implanter, dans les lésions osseuses du crâne, des cellules mésenchymateuses issues de la pulpe dentaire : ces cellules, dont l’intérêt est d’être sans risque de rejet étant donné leur origine commune (la crête neurale) avec celles des os de la face et du crâne, peuvent donner des chondrocytes, des neurones, etc. "Les cellules pulpaires sont de merveilleux outils pour refaire des dents et surtout de l’os, et aussi pour la vascularisation et l’innervation. Au cours de suivis longitudinaux, la réparation s’est avérée meilleure avec les cellules pulpaires. Notre modèle marchait !"
Après ensemencent dans du collagène (constituant principal de l’os ou de la dentine) et culture des cellules souches pulpaires, les chercheurs étudient leur devenir ("une fois implantées, les cellules se différencient en chondrocytes hypertrophiques"), comment, tout en activant la minéralisation, elles participent à la réparation de la lésion, à la repousse de nerfs et de vaisseaux, et comment rendre leur matériau support suffisamment rigide pour induire la formation d’os. Pour l’étude de l’angiogenèse, l’équipe, en collaboration avec l’équipe de Stéphane Germain au Collège de France, a pu montrer que lorsque les cellules étaient préalablement soumises à une hypoxie ou au fibroblast growth factor (FGF 2), la densité vasculaire de l’implant était augmentée, et comprendre "pourquoi les cellules pulpaires font de si beaux vaisseaux : le fibroblaste pulpaire surexprime le vascular endothelial growth factor [VEGF] et, à la différence des autres fibroblastes, exprime le human growth factor [HGF]".
En outre, la détection précoce de l’angiogenèse permet de prédire la réparation osseuse. "Il faut aussi trouver des marqueurs prédictifs de la réponse, car les implants n’ont pas pris chez les patients en cas de diabète ou d’ostéoporose." Les applications thérapeutiques pourraient concerner les blessures militaires ou accidentelles, et les maladies chroniques qui induisent des pertes osseuses, cartilagineuses ou dentaires (rachitismes génétiques, maladies des os de verre).