Entrée dans le droit commun le 15 septembre 2018, la téléconsultation peine pourtant à se généraliser. Loin des 500 000 actes attendus par le gouvernement pour 2019, seuls 60 000 ont été pris en charge [chiffres de la Cnam le 12 septembre dernier, NDLR] depuis la mise en place du remboursement par l’Assurance maladie. Comment la télémédecine est-elle déployée au sein des territoires ? Quelles sont les difficultés rencontrées par les acteurs du terrain ? Quel est le rôle des tutelles ? Autant de questions soulevées lors du 12e Congrès national de la Société française de télémédecine (SFT) le 3 décembre dernier à Paris.

Les régions se positionnent

483 000 habitants, soit 8,7 % de la population régionale, sont concernés par les zones d’intervention prioritaire, définies par l’ARS Grand-Est en 2018 comme ayant un « faible niveau d’accessibilité aux soins (moins de 2,5 consultations par habitant et par an) ainsi que des territoires potentiellement fragiles (entre 2,5 et 4 consultations par habitant et par an) ». Soit « des zones sur lesquelles mettre en place des actions concrètes et lancer des projets de télémédecine pour faciliter l’accès aux soins », explique Laurent Dal Mas, directeur de la qualité, de la performance et de l’innovation.

Ainsi, depuis deux ans, l’ARS Grand-Est a créé, en partenariat avec l’Assurance maladie, le premier guichet intégré télémédecine territorialisé. Objectifs : simplifier l’accès aux projets de télémédecine, préciser les aides à l’investissement, répertorier les professionnels et les établissements pratiquant la télémédecine ainsi que les solutions disponibles, former les professionnels…

Du 1er janvier au 31 octobre 2019, la région a recensé 13 000 actes de télémédecine facturés à l’Assurance maladie (dont 6 900 téléconsultations), plus de 600 médecins et 30 établissements impliqués, plus de 10 plateformes de télésurveillance et 300 structures requérantes équipées. « Et 50 % des médecins traitants nouveaux arrivants sont disposés à mettre en place des prises en charge à distance », se réjouit Laurent Dal Mas.

En Normandie, l’accompagnement à la téléconsultation est plutôt centré sur les résidents en Ehpad : 160 structures sont ainsi équipées, soit 50 % des Ehpad de la région. Mais « il subsiste malgré tout de vrais enjeux d’organisation tant du côté de l’Ehpad que de la ville ou de l’hôpital, précise Yann Lequet, directeur de l’appui à la performance à l’ARS Normandie. Et la question demeure : comment est-ce que je réponds à cette demande de soins ? ». Une première réponse a été donnée à Saint-Georges-de-Rouelley, commune normande sans médecin, où une expérimentation de télémédecine s’adresse aux patients sans médecin traitant ou qui ne parviennent pas à obtenir de rendez-vous dans un délai « compatible avec leur état de santé », précise l’ARS. En onze mois, 123 actes y ont été effectués, soit 48 % chez les 60-80 ans et 10 % chez les plus de 81 ans. 92 % de ces patients n’avaient pas de médecin traitant, et 54 % ont consulté pour des pathologies aiguës. De plus, 10 infirmières et 7 médecins libéraux de la commune ont été formés à la télémédecine.

La région Bougogne-Franche-Comté ? « Une région vaste et peu peuplée… et des difficultés d’accès aux soins en premier et second recours, décrit Olivier Obrecht, directeur général adjoint de l’ARS. La télémédecine est donc un puissant outil. » Ainsi, les projets régionaux sont nombreux à proposer des prises en charge à distance : télédermatologie (100 sites de la région), télécardiologie (50), télé-AVC (30), télépsychiatrie (25)… Une stratégie de déploiement amorcée entre 2017 et 2019, en trois phases : dans les maisons de santé et cabinets médicaux, dans les Ehpad, et dans les établissements médico-sociaux du champ du handicap. Si les défis sont nombreux – favoriser l’accès aux soins et améliorer les délais de prise en charge, éviter les renoncements de soins, réduire les inégalités, favoriser les collaborations interprofessionnelles –, il s’agit également de savoir concilier télémédecine et éthique, et de veiller à une bonne utilisation des données. La région compte ainsi plus de 1 000 professionnels de santé formés à l’utilisation des plateformes régionales, plus de 200 structures 50 % de plus qu’en 2017) et plus de 2 millions d’euros consacrés au déploiement en 2018…
 


Téléconsultations en psychiatrie à la MSP de Boussac (mars 2018), en plaies et cicatrisation à domicile au Pôle de santé Saint-Savin (2017), en médecine générale pour les patients en ALD au domicile du patient à la CPTS du Bergeracois (septembre 2019)… En Nouvelle-Aquitaine, la télémédecine est « l’un des leviers, mais pas le seul, pour aider professionnels et organisations territoriales à rapprocher le soin et les patients », explique Mélanie Volpato-Coilier, de l’ARS Nouvelle-Aquitaine. 670 Ehpad ont été accompagnés en 2019 (contre 150 en 2017), soit 72 % des structures de la région, ainsi que 113 foyers d’accueil médicalisés et maisons d’accueil spécialisées, et 17 unités sanitaires.

La région a ainsi créé un cadre méthodologique pour accompagner cette massification des usages et « mettre en place la télémédecine de façon efficace sur le territoire », a précisé Christian Caubet, directeur de projets chez GCS Télésanté Aquitaine, à travers notamment la délégation et l’accompagnement des acteurs sur le terrain, ou encore la création d’un poste de coordonnateur… Un plan d’accompagnement a aussi été mis en place pour développer la visibilité de l’offre de télémédecine : plan d’information et de sensibilisation, guichet unique, formation des acteurs, cartographie de l’offre… Depuis septembre 2018, 900 téléconsultations y ont été facturées.

Expliquer et former

Expliquer aux professionnels de santé ce qu’est la téléconsultation, la télémédecine ou la télé-expertise. Tel est le premier axe de déploiement mis en place dans les Hauts-de-France en 2018. « Ça n’y paraît rien, mais quand on se rend sur le terrain, on peut observer une incertitude, une méconnaissance des textes : quelle sorte de téléconsultation ? quels éléments font partie de la convention médicale ? qu’est-ce qui permet d’être remboursé ? », raconte Ronan Rouquet, responsable SI.

Documents explicatifs adressés notamment aux 9 500 médecins libéraux, boîte mail générique, formation en e-learning à la téléconsultation (auprès des effecteurs et des accompagnants, notamment des infirmières, au maniement des outils biomédicaux) et à la télé-expertise (formation juridique, financière et opérationnelle de plus de 250 médecins généralistes), déploiement en Ehpad… Des projets qui ont soulevé les freins techniques et organisationnels : qualité de flux suffisante, achat de matériel biomédical, mise en place d’une organisation entre les acteurs… « Un système plus lourd à mettre en oeuvre et qui nécessite un accompagnement plus important par le Grades* auprès, à ce jour, d’une cinquantaine d’Ehpad et demain, de l’ensemble des Ehpad de la région », précise Ronan Rouquet.

* Grades : Groupement régional d’appui au développement de la e-santé.

Parole aux tutelles

Les promesses prêtées à la télémédecine sont-elles tenables ? « Oui, répond Jacques Lucas, nouvellement nommé président de l’Agence du numérique en santé (ex-Asip Santé). Car les résistances des professionnels de santé au regard de leur propre appropriation de l’outil sont en train de s’atténuer. » Et pour accompagner ce déploiement, il faut « un dialogue constant pour construire quelque chose de cohérent », notamment concernant le financement, avance pour sa part Delphine Champetier, directrice de l’offre de soins de la Caisse nationale de l’Assurance maladie. 

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