D’abord un peu d’histoire. Quinze années se seront écoulées depuis le rapport Simon-Acker sur "La place de la télémédecine dans l’organisation des soins". Et en dépit d’un rôle de précurseur, il faudra attendre la loi HPST du 21 juillet 2009 pour que la France se dote de la première réglementation de la télémédecine, et un plus tard, qu’un décret (19 octobre 2010) définisse les cinq actes médicaux de télémédecine. Et ce n’est que quatre ans plus tard que la télémédecine fera une timide entrée par la voie des expérimentations du programme Étapes… La télémédecine ne démarre réellement qu’avec la LFSS 2018 lorsqu’elle entre dans le droit commun : l’avenant n° 6 signé le 14 juin 2018 entre les syndicats médicaux et la Caisse nationale d’Assurance maladie prévoira le remboursement des actes de téléconsultation et de télé-expertise. "On aurait pu aller plus vite s’il n’y avait pas eu à l’époque l’opposition du directeur général de la Cnam", déplore Pierre Simon, fondateur de la Société française de télémédecine.

L’état d’urgence sanitaire liée au Covid-19 fera sauter tous les verrous. Afin de garantir la continuité des soins, l’Assurance maladie remboursera à 100 % les téléconsultations. Dès lors, leur nombre va exploser ! Selon une étude de la Drees de septembre 2020, les trois quarts des médecins généralistes ont mis en place la téléconsultation lors de la première vague de l’épidémie alors que moins de 5 % la pratiquaient auparavant. L’avenant n°9 signé le 30 juillet 2021 tirera les enseignements de la période Covid en recadrant la pratique des téléconsultations (pas plus de 20 % d’actes et une charte de bonnes pratiques). Cette prise en charge intégrale prendra fin le 30 septembre 2022. Mais si les chiffres ont baissé depuis, la pratique s’est néanmoins installée.

Pour Anna Boctor, pédiatre et vice-présidente du syndicat Jeunes Médecins, intervenue lors de la table ronde "La place de la télémédecine dans l’organisation territoriale des soins » organisée par Les entreprises du médicament le 16 juin dernier, "les jeunes médecins ont bien conscience que la télémédecine est un outil supplémentaire qui peut améliorer la prise en charge des patients… sous certaines conditions". Nous voilà donc dans l’ère de la médecine hybride alliant virtuel et présentiel "qu’il ne faut pas opposer, dans un équilibre à trouver", insiste Pierre Simon. Toutefois, tous participants à cette journée s’accordent sur la nécessité de revoir le cadre juridique actuel de la télémédecine.

 

La télémédecine a vissé sa plaque

Du côté des médecins, les interrogations portent sur la limitation des actes de télémédecine à 20 % du total annuel des actes par praticien. "Un chiffre probablement fixé au doigt mouillé. C’est un bâton dans les roues de plusieurs spécialités comme la psychiatrie ou l’anesthésie", regrette Anna Boctor qui souhaiterait que les sociétés savantes émettent des recommandations de bonnes pratiques pour chacune de leurs spécialités. Même point de vue chez Pierre Simon qui voudrait des quotas en fonction des pathologies et des parcours…

La question de la territorialité fait aussi débat. Si les industriels souhaitent que la télémédecine ait une approche libérale, les médecins se montrent plus prudents. "Si une téléconsultation doit déboucher sur une consultation en présentiel, cela risque d’être difficile si le médecin est à 800 km !", fait remarquer le fondateur de la Société française de télémédecine.

Pour les industriels, la priorité est de doter le secteur d’un modèle économique fiable. "En dehors de la télésurveillance, les modèles actuels ont été faits en décalque de la médecine présentielle", déplore Jean-Pascal Piermé, président du LET, qui suggère d’autres pistes : différencier l’acte intellectuel d’un forfait technique ou distinguer dans les territoires le financement de l’accès aux soins dans un territoire du soin lui-même.

Le deuxième souhait des entreprises est d’aller vers un statut d’opérateur de santé numérique. Un premier pas a été fait par l’agrément des sociétés de téléconsultation, prévu à l’article 53 de la LFSS 2023 qui leur permettra d’obtenir le remboursement des actes réalisés par les médecins qu’elles salarient.

Si un sujet a fait consensus, c’est la nécessité de réguler l’offre de télémédecine. Start-up, assureurs complémentaires, opérateurs traditionnels, acteurs étrangers et le géant des rendez-vous en ligne Doctolib se disputent aujourd’hui un marché en pleine expansion sans aucun cadre juridique, avec pour certains, le risque d’une ubérisation de la médecine. "Il faut éviter de potentielles dérives vers une financiarisation de la médecine !", met en garde Anna Bactor.

 

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