Article publié dans Concours pluripro, janvier 2024

L’Ordre des infirmiers a présenté ses voeux le 17 janvier dernier. Comment abordez-vous cette nouvelle année ?

Il faut être optimiste parce qu’on a du boulot : refonte du métier infirmier, prise de poste de la nouvelle ministre de la Santé, suite des textes sortis en 2023… Mais déjà, plusieurs éléments sont encourageants : les chiffres de la démographie, le nombre d’infirmières inscrites au tableau de l’Ordre… La progression est ascensionnelle et régulière. Et plusieurs leviers aideront en ce sens, notamment la certification, un atout majeur pour nous. N’agitons pas les foules en disant que ce sera compliqué ! Parce qu’il y a déjà plein de choses qu’on fait mais qu’on ne trace pas et qu’on ne voit pas. Par exemple, à l’hôpital, les revues de morbi-mortalité, les retours d’expérience ou les analyses de pratiques… Il faut écrire, tracer et améliorer cette culture. Tout cela va valoir expérience, expertise et évolution de la profession, qui vont concourir à une meilleure qualité de prise en charge, une montée en charge et une reconnaissance des professionnels.

Notre métier est un métier éminemment clinique mais aussi de tradition orale. Et avec la certification, les gens feront la preuve de ce qu’ils font. Évidemment, il ne faut pas tomber dans le délire inverse de dire qu’il faut tout tracer parce qu’on va passer plus de temps à tout écrire qu’à être sur le terrain. Il faut trouver la juste mesure.

Aujourd’hui, plusieurs secteurs d’activité s’ouvrent pour les infirmières, et à mon sens, le plus important, ce sont les rendez-vous de prévention. Déjà parce que l’infirmière sera sur le même rang que les professions médicales, ce qui permet de reconnaître sa plus-value, mais aussi parce qu’on va enfin prendre le virage de la prévention ! La santé n’a pas de prix mais elle a un coût, et plus on fera de prévention, moins il y aura de patients dans des situations catastrophiques.


Le statut d’infirmier référent a été validé en décembre 2023. Avec notamment la possibilité de renouveler des prescriptions pour les patients en ALD. Faut-il regretter un manque d’autonomie ?

Il y aura des décrets et ils seront discutés. Mais il faut être plus ambitieux que ça. Prenons les plaies et cicatrisation, qui représentent environ 1 million de prises en charge par an. Pour un patient qui a une plaie – donc un fait nouveau –, l’infirmière doit avoir le matériel pour la nettoyer, faire le prélèvement et l’envoyer au laboratoire pour avoir un antibiogramme ou autre. Et aujourd’hui, elle ne peut pas le faire !

L’infirmier référent, c’est une vraie avancée, mais il faut aller plus loin… Pourquoi pas la primoprescription, évidemment pas comme pour l’IPA, mais donner du Doliprane à un patient, ça doit être possible, par exemple.
 

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L’accès direct aux IPA dans le cadre d’un exercice coordonné a été confirmé par la loi Rist en mai 2023. Plusieurs syndicats de médecins s’y sont opposés. Que leur répondez-vous ?


Je comprends leur réaction : ils pensent – pour reprendre les propos d’un ancien président de l’Ordre des médecins – qu’on vend leur profession à la découpe. Mais pour moi, ce n’est pas l’objet. L’accès direct va se faire sur quelque chose de très défini : les IPA ont un cadre réglementaire qui les contraint à un protocole d’organisation et un adressage. Je comprends que les médecins craignent pour leur périmètre métier et qu’ils ne souhaitent pas prendre en charge uniquement des cas complexes, avec des consultations très longues. Mais on est dans un contexte de pénurie et d’accroissement des demandes. Comment on fait pour prendre en charge les gens ? On compte environ 10 millions de patients en ALD en France, et ce chiffre augmente chaque année… Il y aura du travail pour tout le monde !

Dire « moi, je ne veux pas », OK, mais qu’est-ce qu’on répond à tous ceux qui ne peuvent pas être pris en charge ? Il faut dissocier – et je sais que ce n’est pas évident – l’aspect corporatiste de l’aspect économique et de l’aspect des besoins.


Les travaux sur la refonte du métier infirmier sont en cours, avec un calendrier chargé pour cette année. Objectifs : ouvrir de nouvelles compétences dès 2024 et mettre en place une formation rénovée pour la rentrée 2025. Quel rôle va jouer l’Ordre ?

Au départ, on n’était pas invités dans les travaux lancés par la DGOS, et c’est Aurélien Rousseau qui nous a réintégrés. L’Ordre est aujourd’hui partie prenante, avec le CMP et la DGOS, avec des experts et des groupes témoins. Mais il faudra une loi, c’est évident. D’autant que cela portera un aspect symbolique de reconnaissance pour l’exercice infirmier. Et on va pousser en ce sens. Concernant la formation, l’Ordre a lancé une consultation dont nous partagerons les résultats d’ici à la fin du mois.


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La vaccination à domicile par les pharmaciens : vous adhérez ?

Ça a été une saillie médiatique, je pense… Et je ne sais pas si les pharmaciens ont le temps d’aller faire des vaccinations à domicile à l’autre bout du territoire. Ce qui m’inquiète le plus, au-delà des guéguerres entre professionnels, c’est la désaffection de la vaccination de façon générale. Et c’est un sujet pour lequel on devrait vraiment se mettre autour de la table.

Faut-il confier la vaccination à plusieurs acteurs ? C’est de bon sens. Que les acteurs se chevauchent ? Je pense que c’est plus compliqué parce que cela amène de la tension… Je le répète : on a besoin des uns des autres ! Créer des bisbilles entre les professions, c’est clairement contre-productif.
 

Le Comité de liaison des institutions ordinales (Clio), dont vous êtes également le président, a formulé fin 2022 des solutions pour améliorer l’accès aux soins. Un an plus tard, quel constat ?

Justement, les accords du Clio se fondent sur le travail collaboratif entre professions. Améliorer l’accès au médecin traitant à travers le partage d’actes avec d’autres soignants, élargir les missions des professionnels, rendre le système de santé plus lisible, valoriser les compétences au travers des dispositifs de formation… Depuis octobre 2022, aucune proposition n’a été mise en oeuvre. Il faut un texte de loi, mais aucun parlementaire ne s’en est emparé jusqu’ici. Donc j’espère que 2024 le permettra. Ce n’est pas en opposant les professions qu’on parviendra
à prendre en charge le plus de personnes possible.


L’expérimentation Équilibres est entrée dans une phase transitoire en vue de sa généralisation. C’est un « article 51 » porté par des infirmières…

Oui, c’est une excellente nouvelle parce qu’on est dans le rôle propre de l’infirmière sans avoir besoin d’une évolution du texte. Maintenant, il faut passer à une échelle un peu plus industrielle pour pouvoir suivre plus de cohortes à la fois de patients et de professionnels, et voir comment ça se déploie sur le territoire. Mais tous les voyants sont au vert tant pour les professionnels (attractivité de la profession et rôle propre) que pour les patients (positionnement par rapport à la pathologie). D’ailleurs, ce rôle propre n’est pas assez promu dans l’exercice infirmier alors qu’il est essentiel dans la prise en charge… notamment si on veut miser davantage sur la prévention.


Agnès Firmin Le Bodo avait déclaré que 2023 serait « l’année des infirmières ». « Quid » de 2024 ?

Cela doit aussi être le cas cette année ! Il y a eu plein d’avancées en 2023, et une vraie dynamique est enclenchée… 2024 verra la concrétisation du texte Valletoux, de l’expérimentation Rist, des premiers certificats de décès signés par les infirmières, mais 2025 verra aussi la mise en oeuvre du décret de la refonte du métier. Ce sera la première promotion de la profession infirmière, avec ses nouvelles compétences et missions. C’est vraiment quelque chose !

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