Au 31 décembre 2023, 15 023 pédicures-podologues étaient inscrits à l’Ordre. Soit une hausse de près de 8 % en cinq ans. Peut-on dire que la dynamique est en marche ?

Je parlerais plutôt de stagnation, parce qu’il y a eu une hausse plus importante entre 2010 et 2020 : on est passé de 9 000 inscrits à quelque 13 000. Mais depuis quelques années, on a moins de diplômés. Et sur les 14 instituts de formation en France (11 privés et 3 publics), qui ont des quotas d’élèves par promotion, certains ont du mal à remplir leur promotion, comme c’est le cas dans d’autres filières de santé. En 2012-2013, il y avait environ 660 diplômés potentiels chaque année. Aujourd’hui, on est plutôt autour de 450. D’où le terme "stagnation".

Mais le débat est beaucoup plus large et c’est pourquoi l’un de nos chantiers prioritaires concerne l’universitarisation de la formation. Celle-ci a été réingéniée en 2012, avec un diplôme d’État sur trois ans... et l’Ordre milite pour qu’elle passe à une formation durant cinq ans, avec un grade master. C’est essentiel pour faire évoluer la profession et acquérir plus de compétences.

Comment peut-on accélérer ce processus d’universitarisation ?

Il faut tout simplement une décision politique. L’Ordre a travaillé avec l’université d’Orléans sur un programme de cinq ans et un financement qui repose sur le conseil régional politique, prêt à budgétiser le financement d’une formation universitaire pour des promotions de 20 à 25 pédicures-podologues. Notre projet est d’un niveau master, et lors de sa présentation au ministère de la Santé, on nous a dit qu’il était remarquable mais qu’on allait trop vite... Pourtant, les politiques nous demandent d’être innovants et disruptifs dans nos propositions !

J’attendais qu’un ministre soit nommé pour qu’une décision soit prise. C’est désormais le cas, donc nous allons insister. Je n’abandonnerai pas ce dossier.


Pourquoi avoir misé sur Orléans ?

Parce que c’est là qu’il y a une formation universitaire pour les kinés – la plus aboutie d’ailleurs. Parce qu’Éric Blond, le président de l’université, voudrait intégrer d’autres formations. Parce que c’est en régions et qu’on est convaincus qu’en régionalisant davantage nos formations, on va former des jeunes qui voudront rester y exercer. Et parce qu’on commence à avoir, dans plusieurs territoires de la région Centre, des départements en déficit de pédicures-podologues.

Notre profession a beaucoup avancé dans la valorisation de ses compétences, de son savoir-faire, de son intégration dans des équipes pluriprofessionnelles… Mais il faut passer à l’étape suivante et arrêter les formations en silos. Car on ne peut pas nous demander de travailler ensemble sur le terrain et de mettre en place des organisations de coordination des soins si ça ne démarre pas à la formation : se former ensemble, se connaître, savoir ce que font les uns et les autres. D’ailleurs, notre programme propose des enseignements en commun pendant la première année, avec la formation des kinés, par exemple. C’est ensuite qu’on axe sur la formation coeur de métier.

En marge de votre colloque, le 24 janvier prochain, vous avez mené une enquête qui révèle que 21 % des pédicures-podologues interrogés exercent en MSP, que 23 % sont membres d’une CPTS, que 9 en sont même les présidents… La profession est de plus en plus présente sur le terrain, mais on entend peu sa voix. Pourquoi, selon vous ?

C’est notre façon de fonctionner. Nous sommes reconnus pour cela. Nous nous voulons constructifs et travaillons de façon sereine, sans entrer dans le conflit ni le débat corporatiste. Évidemment, s’il faut taper du poing sur la table, on le fait ! Mais on ne va pas forcément le médiatiser.


Mais les évolutions que nous avons obtenues ces dernières années sont majeures. Dans la loi Rist de 2023, le pédicure-podologue, en accès direct dans les faits, a la pleine autonomie de la prise en charge du pied diabétique, sans passer nécessairement par la prescription du généraliste ou du diabétologue. C’est donc lui qui grade le pied à risque, qui prescrit et adapte le nombre de séances nécessaires prises en charge par l’Assurance maladie, et transmet les bilans diagnostiques et comptes-rendus de soin au médecin traitant. On a aussi obtenu la prescription des semelles orthopédiques.

On voudrait aujourd’hui revenir à la charge sur une troisième demande non validée : la possibilité d’adresser directement nos patients à un centre d’imagerie afin d’affiner notre diagnostic, par exemple dans le cas d’un mal perforant plantaire avec suspicion d’ostéite.

L’Ordre a mis en place une commission dédiée à l’exercice coordonné. À quoi servira-t-elle ?

À l’été 2024, quand j’ai été réélu à la présidence, j’ai fixé deux principaux objectifs pour les trois prochaines années : l’universitarisation et l’exercice coordonné. J’ai voulu créer cette commission parce que, sur le terrain, plusieurs projets de protocole de coopération se mettent en place. L’idée principale est d’accompagner les pédicures-podologues dans l’écriture et la mise en place de ces protocoles. Et aussi de savoir ce qui se fait dans le cadre de ces protocoles, où et comment.

 

Proportionnellement parlant, il y a plus de pédicures-podologues en MSP que de médecins ou de kinés !


Selon les derniers chiffres de la Cnam, vous êtes la 7e profession la plus présente en MSP (3 %)…

C’est un chiffre en constante évolution. Mais il faut voir ce chiffre proportionnellement à la population. Il y a 1 384 pédicures-podologues en MSP sur les 14 000 en France en activité, ce qui signifie que 10 % de la profession y est impliquée. On compte 9.082 généralistes en MSP, dont 9 % des 102 000 libéraux [chiffres de la Drees, NDLR]... Idem sur les 90 000 kinés en France, 4 982 sont impliqués en MSP, donc 6 %. Ainsi on pourrait dire que, proportionnellement parlant, il y a plus de pédicures-podologues en MSP que de médecins ou de kinés !

Dans votre enquête, 85 % des répondants estiment que le pédicure-podologue pourrait jouer un rôle accru dans la prévention en santé. Comment cela pourrait se traduire ?

On est une vraie profession de prévention. D’abord, le pédicure-podologue passe entre 30 et 45 minutes avec son patient et il en profite pour prodiguer de nombreux conseils de prévention sur le chaussage, le pied du patient diabétique, par exemple. On pourrait faire  beaucoup plus, mais notre convention nous restreint au pied à risque de grade 2 et 3, donc avec une déformation importante, une perte de sensibilité, un risque élevé d’amputation... Évidemment, la vraie prévention devrait se faire davantage sur les grades 0 et 1, avec une consultation prise en charge par l’Assurance maladie.


Le pédicure-podologue est l’un des acteurs essentiels dans la prévention des chutes chez la personne âgée. Depuis juin 2024, on peut faire rembourser notre prescription de chaussures thérapeutiques à usage temporaire (CHUT) ou prolongé (CHUP). Ce qui fait qu’on gagne du temps dans le parcours de soins du patient, dans l’accès aux soins... Parce qu’avant il fallait renvoyer le patient vers le médecin pour une prescription.

Depuis 2023, l’Assurance maladie a aussi validé la prise en charge de deux consultations chez le patient en traitement oncologique, parce que certains traitements peuvent entraîner le syndrome mains-pieds. Nous sommes typiquement dans la prévention car une consultation doit être faite en amont du traitement.

Que retenez-vous de cette enquête ?

Le fait que 43 % des pédicures-podologues sont impliqués dans une MSP ou une CPTS*. Ça montre une vraie montée en puissance dans ce genre d’exercice pluriprofessionnel. J’exerce depuis 1991 et c’est clair qu’aujourd’hui, on n’exerce plus de la même façon. L’Ordre a toujours promu cette implication dans cet exercice coordonné car c’est un axe de santé publique important.
 

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