"La médiation en santé : un levier relationnel de lutte contre les inégalités sociales de santé à consolider" a été remis en juillet dernier à François Braun, ancien ministre de la Santé. Comment avez-vous travaillé à son élaboration ?
Nous avons mené ce travail collectif – à la demande du ministère de la Santé, et en partenariat avec l’Igas – en nous appuyant sur des retours d’expériences et visites de terrain, et sur la littérature. Nous avons également co-animé un groupe de travail afin de réfléchir sur la médiation en santé, en parallèle d’initiatives portées dans le domaine, telles que l’expérimentation "article 51" sur les structures d’exercice coordonné participatives (Secpa).
Tous ces apports nous ont permis de disposer d’un corpus de réflexion, ce qui nous a amené au constat que le sujet de la médiation en santé est principalement porté par le monde associatif. Il n’est connu des tutelles que sous le prisme des personnes migrantes et de celles à la rue… alors qu’il touche un public bien plus large ! La médiation en santé n’est, de fait, que très peu utilisé au sein des établissements de santé pour la population en général.
Quels sont les freins à son plein déploiement ?
On a identifié plusieurs problématiques, à commencer par la sémantique. Pour beaucoup, la médiation est synonyme de conciliation à la suite de conflit, et non d’un dispositif "d’aller vers", ce qui limite sa bonne appréhension tant par les publics concernés que par les acteurs institutionnels.
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Par ailleurs, dès lors qu’un tiers est introduit comme interface pour faciliter l’autonomie des personnes, cela interroge les professionnels de santé et les équipes déjà investis sur leurs pratiques professionnelles. Ils sont alors contraints de prendre en compte une dimension davantage holistique de la personne, ce qui n’est pas toujours bien accepté. Cette approche est d’autant plus complexe que le monde sanitaire, médicosocial et social sont particulièrement cloisonnés, compliquant le positionnement d’interface de la médiation en santé. De même que les contours de son action et son champ d’intervention ne sont pas toujours clairement définis…
Outre la bonne compréhension de ce que recouvre la médiation en santé, un autre frein repose sur l’absence de travaux robustes sur la dimension médico-économique de la médiation en santé. Difficile donc pour les tutelles d’investir et de proposer des financements pérennes pour un métier dont les effets des actions ne sont pas pleinement mesurés. Cette absence de financement public pérenne affecte la capacité des équipes et des structures à projeter des actions sur le moyen terme et à recruter des professionnels sur des emplois perçus comme précaires, tant matériellement que symboliquement.
Qu’en est-il de la reconnaissance du métier de médiateur ?
Il s’agit d’un autre vrai sujet. La médiation en santé ne repose pas – et ne doit pas reposer – sur un cadre strict et rigide. Au contraire, il s’agit davantage de principes consistant à s’interroger sur comment aider des personnes, qui sont loin du soin et de la santé, à se remettre dans un parcours de santé. Le tiers, le médiateur, intervient en tant que personne-ressource pour l’aider à s’engager de nouveau dans cette voie.
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Cette mission s’exprime dans différentes dimensions. Certains médiateurs en santé sont à la fois des personnes de terrain et des coordinateurs endossant une responsabilité de territoire. Ils requièrent, de fait, une formation solide pour remplir au mieux leur mission. C’est le cas également des médiateurs dits "des derniers kilomètres", des pairs-aidants, des tiers de confiance, ceux qui ressemblent davantage aux personnes aidées.
À tous les niveaux, il faut une reconnaissance du métier, qui doit a minima être inscrit au registre des professions avec des formations, elles aussi, inscrites au sein du répertoire national des certifications professionnelles. Mais elles ne doivent pas être enfermantes et excluantes, car tous les médiateurs en santé ont leur place dans le système de santé, avec des interventions à différents niveaux.
Les tutelles soutiennent-elles ce projet ?
L’une de nos propositions est de mettre en place, dès à présent, un comité paritaire pour suivre l’avancée de la mise en œuvre de nos recommandations. Car les pouvoirs publics vont devoir s’en préoccuper. Je suis l’un des garants du Conseil national de la refondation (CNR), et en tenant compte des 240 réunions organisées, le deuxième sujet arrivant en tête des préoccupations porte justement sur la médiation en santé… L’inquiétude des citoyens et les principales interrogations remontées dans le cadre du CNR reposent sur la prise en compte des 20 % des personnes éloignées de la santé et de leur réintégration dans une logique de soins, en amont des problématiques, dans toute la dimension de prévention primaire et secondaire. La prévention doit s’adresser à tous, et il y a aujourd’hui une réelle prise de conscience de l’existence d’inégalités sociales d’accès à la santé. Il s’agit d’un sujet de terrain et politique, dont tout le monde doit tenir compte.
À partir du moment où les orientations politiques vont porter ce sujet, progressivement, l’engagement va devenir plus prégnant... d’autant plus dans le contexte actuel où la priorité est de proposer à la population un accès à la santé pour tous. Dans les territoires, il va nécessairement falloir réfléchir à ceux qui vont permettre d’atteindre cet objectif. Cette réponse territoriale impose des acteurs nouveaux. L’ensemble des équipes doivent s’ouvrir et intégrer qu’elles ont besoin des tiers qui peuvent leur redonner du temps utile.