Médecins généralistes et médecins du travail oeuvrentils main dans la main au service des travailleurs, le tout en lien avec l’Assurance maladie ? En théorie, oui. Dans les faits, un peu moins… Inimitié héréditaire, mauvais partage des rôles ? Lors d’une session du Congrès de la médecine générale France (CMGF) dédiée aux relations entre les professionnels de santé autour d’un arrêt de travail(1), ce sont avant tout les difficultés de communication qui ont été au centre des débats.

Dans un monde idéal, le médecin généraliste qui connaît le patient et qui, dans la majorité des cas, a posé le diagnostic ou initié le parcours de soins, est au centre d’une concertation entre la médecine de ville, l’hôpital, l’Assurance maladie pour l’arrêt et les services de santé au travail pour l’optimisation du retour au travail et des conditions d’exercice, le tout centré sur les besoins du patient. Le médecin du travail apporte ses compétences en matière de prévention et ses connaissances en droit du travail.

DES RELATIONS QUASI INEXISTANTES

Ça, c’est la théorie. En pratique, c’est plus compliqué. Les généralistes assistant à la session en ligne du CMGF, interrogés sur leurs relations avec la médecine du travail, rapportent des « relations faibles », voire « absentes », teintées de problèmes d’identification des interlocuteurs et de communication, de la faiblesse des supports de transfert de l’information, ou encore d’incompatibilité des horaires... Certains ajoutent ne pas savoir quelles informations sont susceptibles d’être partagées, notamment avec les médecins de services de santé au travail autonomes, face à une crainte de rupture du secret médical.

« Dans la littérature, les relations sont beaucoup indirectes, via le patient, et surtout à l’initiative du médecin du travail, explique Cyril Bègue, médecin généraliste et chef de clinique au CHU d’Angers. Les contacts se font plus pour un échange d’informations que pour une harmonisation de la prise en charge. On n’a pas franchi le stade de la collaboration. »

En 2010, une étude de l’Inpes montrait par exemple que seuls 39 % des médecins généralistes interrogés avaient sollicité la médecine du travail pour une visite de préreprise plus de six fois au cours des douze derniers mois. « Avec les années, les contacts semblent augmenter », note néanmoins le généraliste, qui met en avant une véritable envie de dialogue. Mais des problèmes de représentation limitent les interactions, notamment sur la compréhension des deux corps de métier sur le rôle des médecins du travail.

 

 

COORDINATION

Pour fluidifier le parcours et préciser le rôle de chacun, la Haute Autorité de santé (HAS) a révisé ses recommandations(2) en 2019, en lien avec la Société française de médecine du travail (SFMT). Ces recommandations font du médecin du travail l’acteur pivot du maintien en emploi et des mesures mobilisables. Elles insistent particulièrement sur une coordination « indispensable ». « Le retour au travail doit être pensé avec tous les acteurs », insiste au CMGF le Pr Audrey Petit, rhumatologue au service de pathologies professionnelles du CHU d’Angers.

La HAS met notamment l’accent sur la visite de préreprise. « Pendant un arrêt de travail, le contrat de travail est suspendu, rappelle Audrey Petit. Le médecin du travail ne peut donc pas imposer une visite au travailleur, mais rien n’empêche de la promouvoir. Il faut informer le travailleur que cette visite peut être faite à sa demande, et renouvelée plusieurs fois. » L’important est d’inciter le travailleur à échanger avec l’entreprise et ses représentants le plus tôt possible, afin que le retour en emploi se fasse dans les meilleures conditions, surtout si une adaptation du poste ou des conditions de travail s’avère nécessaire. Pour favoriser le dialogue, Cyril Bègue incite les médecins généralistes à joindre directement les services de santé au travail (SST) dès que le besoin s’en fait sentir.

Dans le cas où le SST est autonome, pas de problème pour l’identifier. Et dans de nombreux départements, il y a peu de SST interentreprises. « Il suffit d’appeler le centre pour être mis en relation avec le médecin concerné, explique-t-il. En région parisienne, c’est plus compliqué car il y a de nombreux acteurs. Il faut alors demander au patient d’identifier le bon. »

LA SÉCU NE VEUT PLUS DU MAUVAIS RÔLE

De son côté, l’Assurance maladie fait des efforts pour faciliter la communication avec les professionnels de santé, et élargir ses missions. « L’activité des médecins-conseils ne se limite pas au contrôle, et ils ont un rôle dans la lutte contre la désinsertion professionnelle, souligne Cyril Bègue. Le climat de méfiance lié au contrôle des prescriptions ne doit pas l’occulter. En tant que médecin généraliste, il faut garder cela en tête pour pouvoir communiquer, dans le cas d’une demande d’invalidité ou en cas de désaccord. Le coup de fil facile vous fera gagner un temps fou derrière. »

Mais « les canaux de contact, c’est le gros sujet, reconnaît Nicole Ferrier, médecinconseil de l’Assurance maladie. On nous a fait remonter des difficultés pour joindre le service médical ». Un numéro unique (et gratuit), réservé aux professionnels de santé, a donc été mis en place, le 3608, pour les demandes administratives comme médicales. « L’espace d’échanges médicaux sécurisé fonctionne bien aussi, les retours des médecins prescripteurs sont bons », assure Nicole Ferrier. Il est accessible via amelipro.

Ce travail en commun profitera à tous : au patient, qui gagne en qualité de prise en charge, aux médecins qui gagnent du temps médical, et à l’Assurance maladie et l’entreprise, qui bénéficieront d’une réduction du nombre et de la durée des arrêts de travail.

1. « Médecins généralistes, médecins du travail et médecinsconseils : mieux collaborer pour mieux prendre en charge ».
2. « Santé et maintien en emploi : prévention de la désinsertion professionnelle des travailleurs», HAS, 2019.

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