La prise en charge et la prévention des maladies cardiovasculaires et particulièrement des accidents vasculaires cérébraux (AVC) représentent un défi majeur pour le corps médical. En parallèle de l’augmentation et du vieillissement de la population mondiale, le nombre total d’AVC ne cesse de croître. Chaque année, ce sont environ 16,9 millions de personnes qui présentent un AVC dans le monde(1).

Ils sont à l’origine non seulement d’une importante mortalité mais aussi d’une morbidité conséquente sur le plan humain et économique, avec 116,4 millions d’années de vie ajustées sur l’incapacité(2). Bien entendu, on peut relier cette constatation au vieillissement de la population et à l’importance de certains facteurs de risque, notamment cardiovasculaires (tabagisme, hypertension artérielle…). Néanmoins, du fait de l’impact avéré des conditions de travail sur la santé physique et mentale(3), il est légitime de rechercher des facteurs de risque professionnels de la survenue d’événements cardiovasculaires.

Les horaires de travail prolongés sont un facteur qui ressort depuis quelques années dans la littérature. En effet, bien que la plupart des pays aient des restrictions et des spécifications légales concernant le nombre d’heures hebdomadaires autorisées, une très grande partie de la population au travail ne peut suivre ces réglementations, quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle.

Il a été évoqué depuis de nombreuses années que les longues heures de travail, définies de diverses manières comme le travail d’un employé au-delà des « horaires normaux », sont préjudiciables à la santé physique et mentale. Les premiers effets évoqués sont les pathologies cardiovasculaires, avec une étude européenne en 2015 qui retrouvait un effet modeste mais significatif sur l’incidence des pathologies cardiovasculaires, comme les coronaropathies et les accidents vasculaires cérébraux(4).

SYNTHÈSE DES DONNÉES

Dans ce contexte, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation internationale du travail (OIT) ont demandé à un groupe de chercheurs de faire une synthèse des données existantes dans la littérature sur la relation entre les horaires de travail longs et la survenue d’AVC. L’objectif était ainsi d’obtenir une estimation du risque d’AVC attribuable à ce facteur professionnel, qui sera utilisable pour évaluer son poids dans la survenue de maladies liées au travail (« work-related burden of disease »).

Concernant le risque de survenue d’AVC, la revue systématique (voir ci-dessous) a permis de conclure à :

• un effet limité pour les personnes travaillant entre 49 et 54 heures par semaine avec un risque d’AVC 13 % plus élevé par rapport au groupe de référence (intervalle de confiance [IC] = 1-28 %) ;
• un effet plus marqué pour les personnes travaillant plus de 55 heures par semaine, avec un risque d’AVC 35 % plus élevé par rapport au groupe de référence (IC = 13-61 %).

INTERPRÉTATION

La méta-analyse montre un excès de risque d’AVC statistiquement significatif, même si l’effet observé est modeste. Cette association est retrouvée dans plusieurs études, mais elle n’a pas été constatée dans toutes celles analysées. Il est donc nécessaire de comprendre la divergence des résultats ainsi que les mécanismes physiopathologiques sous-jacents.

Tout d’abord, le surrisque observé d’AVC n’étant pas élevé, on peut comprendre qu’il n’a pas été possible de mettre en évidence ce facteur de risque dans toutes les études car, pour qu’il apparaisse, il est nécessaire d’étudier des populations de grande taille recensant un nombre d’AVC important. D’autre part, il existe des hypothèses sur les mécanismes physiopathologiques sous-jacents à ce risque.

Certaines hypothèses soulignent un lien direct entre des effets cardiaques et vasculaires et certains travaux postés de nuit ou à horaires décalés. D’autres hypothèses mettent en cause un lien indirect par une modification des comportements liée au travail, par exemple une majoration de la consommation de tabac en relation avec du stress au travail. Ces mécanismes sont potentiellement différents en fonction de la nature des accidents vasculaires cérébraux.

En effet, même si cette revue de la littérature a inclus tous les types d’AVC, seulement deux études cas-témoin ont différencié les AVC ischémiques et les AVC hémorragiques. Il est pourtant légitime de penser que les mécanismes de ces deux types de pathologie sont différents. Un autre point important est la notion de durée d’exposition. Dans cette méta-analyse, il a été observé que peu d’études prenaient en compte ce facteur. Parmi les études analysées, l’étude française fondée sur la cohorte Constances nous permet d’avoir une idée de l’influence de la durée d’exposition sur le surrisque d’AVC.

Non seulement ce surrisque d’AVC était observé pour les personnes exposées à des horaires de travail longs (définis dans cette étude sur la base d’un travail journalier de plus de 10 heures pendant plus de 50 jours par an) mais cet effet était plus élevé si les sujets étaient exposés pendant plus de dix ans(5).

La principale limite de cette revue systématique est donc la prise en compte limitée des facteurs de confusion et des médiateurs potentiels. Seules quatre des études considérées dans cette méta-analyse ont présenté des résultats ajustés sur des facteurs de risque cardiovasculaires habituels de l’AVC.

Il est néanmoins à noter que lorsque c’était possible, le calcul du risque ajusté montrait des valeurs peu différentes de celles obtenues sans ajustement, ce qui conforte les résultats. De plus, une attention importante a été portée sur l’évaluation du risque de biais des différentes études incluses et du niveau de confiance apporté. En somme, malgré les limites présentées, et même si l’augmentation du risque d’AVC reste relativement modeste, la surveillance et la mise en place de mesures de prévention sont justifiées au regard du nombre important de personnes qui sont exposées à des horaires de travail longs.

REVUE SYSTÉMATIQUE

Le travail de synthèse des données existantes se fonde sur une revue systématique, fruit d’une collaboration entre une vingtaine de chercheurs originaires de nombreux pays sous l’égide de l’OMS et de l’OIT. Ces chercheurs ont ainsi permis d’identifier plus de 7 000 articles dans les différentes bases de données existantes (PubMed, Embase…). Parmi ces milliers d’articles, les auteurs en ont finalement sélectionné 22, dans un premier temps à partir du titre et du résumé des articles, puis dans un second temps à partir du texte complet. Pour l’analyse de ces études, le temps de travail hebdomadaire pour le groupe de référence était compris entre 35 et 39 heures.

Deux groupes exposés ont été considérés : ceux travaillant entre 49 et 54 heures  hebdomadaires et ceux travaillant plus de 55 heures hebdomadaires. La notion  d’accident vasculaire cérébral a été définie en utilisant soit des données de bases  administratives, soit un avis médical. À partir des données extraites, une méta-analyse a été menée, ainsi qu’une évaluation des risques d’interprétation liés aux  limites des études afin de permettre la réalisation d’une synthèse pour les agences  internationales.

Les 22 études sont récentes, de bonne qualité et proviennent d’Europe (dont une française issue de la cohorte Constances), des États-Unis et d’Asie.

 

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