**Le Dr Yannick Schmitt est médecin généraliste à Lingolsheim (Grand Est), et Thomas Foehrlé est directeur de SOS femmes solidarité 67.

Article publié dans Concours pluripro, septembre 2021, p.34.

Marie, 51 ans, est mère de trois enfants et mariée depuis trente ans. Elle subit des violences verbales quotidiennes de son mari ainsi que des violences physiques épisodiques depuis la naissance de sa dernière fille, il y a huit ans. Elle exerce une activité d’auxiliaire de vie à mi-temps. Elle vous a consulté près d’une dizaine de fois sur les trois derniers mois pour des douleurs diffuses et souvent mal systématisées. La quasi-totalité des consultations se sont soldées par un arrêt de travail. Devant cette situation, vous l’avez interrogée, lors de votre dernière consultation, sur sa vie de couple. Ceci vous a permis de comprendre que la patiente craignait que son mari ne redirige ses violences sur sa fille lors de ses absences, raison pour laquelle les arrêts étaient aussi souvent demandés.
Elle n’a, par ailleurs, que peu d’antécédents (amygdalectomie durant l’enfance). Elle n’a plus de suivi gynécologique depuis son dernier accouchement. Sur le plan de la douleur, vos prescriptions d’examens complémentaires n’ont pas été suivies jusque-là.

Le repérage des violences est l’élément déterminant pour permettre une prise en charge adaptée. Après un rappel, nous aborderons les différentes étapes de cette prise en charge.

Repérer les victimes

Le dépistage systématique

La pratique du dépistage systématique s’appuie sur le constat qu’il n’y a pas de profil type de victime ou d’auteur. Tous les milieux et toutes les catégories socioprofessionnelles sont touchés par cette problématique. Le dépistage systématique des violences est particulièrement pertinent lors d’une première consultation : la prise de contact et le recueil des antécédents est un moment privilégié pour aborder les habitudes de vie et proposer des conseils de prévention. Dans la phase d’interrogatoire, il est assez facile de poser une question ouverte sur le sujet des violences. Sa formulation est naturellement personnelle, mais plusieurs exemples font consensus :

– dans votre vie, avez-vous déjà été victime de violence ? physiques ? psychologiques ? sexuelles ?
– ou encore, au travail ? dans votre vie personnelle ou familiale ?
– comment cela se passe dans votre famille ? dans votre couple ?
– avez-vous déjà été agressée verbalement, physiquement ou sexuellement par votre partenaire ?

La Haute Autorité de santé (HAS) propose plusieurs autres exemples de questions à poser et insiste notamment sur l’intérêt d’élargir ce questionnement à l’environnement familial au travers d’une question du type : "avez-vous peur pour vos enfants ?". Au-delà de la seule question des violences intrafamiliales, ce type de formulation a également une influence importante sur les révélations.

Les femmes victimes sont plus de 80 % à être favorables à cette pratique et près de 77 % pensent qu’aborder la question des violences conjugales fait partie du rôle du médecin généraliste. Toutefois, les freins au dépistage par les professionnels de santé restent nombreux.

                                                                                                                    

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Le repérage ciblé

La pratique du repérage ciblé repose, chez une patiente donnée, sur l’identification de signes d’alertes ou de situations à risque. Aucune symptomatologie n’est spécifique de violences conjugales : la banalité, la fréquence ou la répétition de symptômes sans explication évidente, doit faire évoquer le sujet. C’est le cas dans la situation de Marie.

La pratique du repérage ciblé doit également s’étendre au suivi de grossesse, qui constitue un moment clé dans la mécanique des violences conjugales, propice à son intensification ou à l’apparition de violences physiques. Certaines situations sont à considérer particulièrement : l’interruption volontaire de grossesse, les complications obstétricales ou fœtales…

Une attention particulière doit également être portée aux enfants. Leur exposition aux violences est à la base, là encore, d’une diversité de symptômes, parmi lesquels, des ruptures dans le comportement ou les apprentissages, et des plaintes somatiques, de l’alimentation ou du sommeil. Lorsque ces signes sont présents, il faudra systématiquement évoquer la question des violences intrafamiliales.

Le repérage opportuniste

Enfin, à la manière du conseil minimal qui est désormais bien implanté pour le sevrage tabagique, la pratique d’un repérage opportuniste occasionnel, posant la question de violences selon une formulation proche de celle utilisée pour le dépistage systématique, permet de maintenir, auprès des patientes, une porte ouverte à l’abord du sujet des violences.

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