Article initialement publié sur egora.fr

Plus rien n’arrête la Saône-et-Loire. En 2018, le territoire le plus peuplé de Bourgogne-Franche-Comté (près de 550 000 habitants) ouvrait le premier centre de santé départemental de l’Hexagone. Une initiative d’André Accary, président du département, inquiet de voir les déserts médicaux gagner du terrain sans qu’aucune solution de l’État ne parvienne à attirer des praticiens. Il décide donc de salarier des médecins aux 35 heures, sans attendre le feu vert des institutions. Une idée novatrice car à l’époque, les centres de santé ne relevaient pas de la compétence des départements. Mais il y avait urgence : le département allait "droit au mur" pour reprendre les mots d’André Accary : "Tout cela était prévisible partout en France", assure-t-il déplorant "qu’on n’ait pas pris le problème à bras-le-corps".

Quatre ans plus tard, 70 médecins sont désormais embauchés par le département (dont une soixantaine de généralistes) – le double de ce qui était initialement prévu –, répartis au sein de six centres de santé et de la vingtaine d’antennes existantes. Depuis, le dispositif est en règle car la loi permet désormais aux départements de créer des centres de santé dans certaines conditions… Et face au succès de l’expérimentation, d’autres départements, comme l’Ain ou les Alpes-Maritimes, ont emboîté le pas à la Saône-et-Loire.

Face à cette concurrence "rude", "il fallait continuer à imaginer, à innover", confie André Accary. Et l’an dernier, la Saône-et-Loire a lancé une nouvelle opération séduction à direction des médecins spécialistes : sept sont venus étoffer l’offre de soins (cardiologie, dermatologie…).

 

Parfaire l’offre de médecine générale

Mais André Accary ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Il regrette même "de ne pas aller assez vite" au vu de l’urgence. En parallèle du recrutement de spécialistes, il veut "parfaire" l’offre de médecine générale car bien que le centre de santé ait fait venir de nouveaux praticiens, "il en manque encore". Par exemple à Louhans dans la Bresse, où il souhaite ouvrir, d’ici fin 2022, son septième centre de santé car "on a des médecins qui décident quasiment du jour au lendemain d’arrêter".

Sa dernière idée ? Faire venir cinq jeunes remplaçants pour une durée de six mois, qui ne remplaceraient pas des médecins installés, mais viendraient étoffer l’offre médicale sur le territoire. Une initiative qui s’inscrit dans le cadre d’une expérimentation article 51 (introduit dans la LFSS 2018) qui permet de déroger au code de la santé pour mettre en place de nouvelles organisations de soins. Une occasion en or pour André Accary, qui affirme avoir "sauté dessus" car jusqu’à présent, les remplaçants étaient contraints au remplacement d’un confrère.

 

On a des médecins qui décident d'arrêter quasiment du jour au lendemain

L’expérimentation, dont la durée a été fixée à quatre ans, devrait être lancée dans les prochaines semaines. Les médecins sont attendus pour la fin du mois d’avril, avance-t-il, précisant qu’il attend toutefois les autorisations de l’ARS et de la CPAM : "L’idéal serait quand même que je puisse obtenir l’autorisation car derrière, il y a une question de responsabilité."

Trois des cinq médecins, salariés par le département (sur la base des rémunérations de la FPH, soit de 4 000 à 6 000 euros selon l'expérience), exerceront au centre de santé de Saône-et-Loire, dans le futur site de Louhans. En attendant son ouverture, ils travailleront dans des antennes où la demande est présente, par exemple à Chalon ou Mâcon qui offrent des cabinets "opérationnels et confortables" et une assistance administrative leur permettant de ne faire "que ce pour quoi ils ont été formés", "sans les inconvénients", fait valoir André Accary. Les deux autres rejoindront la MSP de Marcigny, commune de moins de 2 000 habitants qui a perdu deux généralistes en quelques mois. Ils renforceront une équipe de deux autres praticiens et seront rémunérés à l’acte.

Pour mener à bien cette expérimentation, le département a travaillé avec la startup MedSens, créée à la suite du constat des fondateurs que "les médecins ont besoin de découvrir un territoire avant de s’y installer, de partir en groupe, d’exercer à plusieurs, et de pouvoir se projeter dans une vie personnelle". Elle envoie ainsi des petits groupes de praticiens découvrir un désert médical durant quelques mois pour appuyer un médecin proche de la retraite ou submergé, "parfois au bord du burn out".

S'affranchir des contraintes

L’expérimentation menée dans le cadre de l’article 51 s’affranchit de cette contrainte de remplacement d’un médecin installé. "Aujourd’hui, un territoire dépourvu de médecin se retrouve face à problème administratif, juridique et légal puisqu’il n’a pas de solution, mis à part salarier un médecin ou trouver un médecin qui prêt à s’installer en libéral. Cette expérimentation va permettre d’attribuer un numéro Adeli à la collectivité territoriale pour permettre l’envoi de remplaçants", détaille celui qui est également adjoint au maire de la Chapelle de la Tour (Isère).

Concrètement, MedSens va imaginer les "explorations", les construire autour d’un projet de santé territorial, trouver les volontaires et leur offrir la possibilité de "se projeter sans qu’ils ne soient isolés". Pour cela, elle s’occupe de chercher un logement : la colocation des premiers jeunes qui arriveront fin avril sera prise en charge par la ville qui les accueillit, et qui organisera des activités (randonnées, découvertes, loisirs, etc.). "C’est une nouvelle manière d’amener des médecins" dans des déserts, résume Guillaume Sagnes, son manager. "Ça leur permet de tester le territoire."

Pousser à l’installation

André Accary espère ainsi les voir, à terme, s’installer. "On constate que 80% des médecins qui font des remplacements restent. Je mise là-dessus. Ce n’est pas gagné, mais on va tout faire pour", déclare-t-il. Les médecins remplaçants n’ont pas encore été sélectionnés, les autorisations pas encore accordées, mais Guillaume Sagnes assure que des jeunes praticiens se sont déjà montrés intéressés par le projet. Pour le moment, le département n’a pas investi "grand-chose", assure son président : "Cette prestation va réellement être payante si les médecins restent au-delà des six mois." André Accary l’avait annoncé : il fermera des antennes si de nouveaux médecins venaient à s’installer à terme dans des zones désertifiés. Depuis 2018, il en a déjà fermé à trois reprises. "J’ai voulu un dispositif complémentaire pour redonner un peu plus de rythme et aller vers le recrutement de médecins libéraux", explique-t-il, et non entrer "en concurrence" avec ces derniers.

André Accary s’oppose d’ailleurs fermement à l’obligation à l’installation, brandie par plusieurs candidats à la Présidentielle pour lutter contre la désertification médicale : "Quand on n’a pas d’imagination, on va vers des choses simples. Ça n’aurait aucun effet à mon avis. Notre objectif est de résoudre toutes les problématiques en termes de couverture médicale, sur l’ensemble du territoire départemental. Cela va prendre un peu de temps. On a 70 médecins salariés aujourd’hui, mais ça ne suffit pas. Il en faudrait sans doute près de 200... Le jour où la situation sera de nouveau satisfaisante, il n’y aura plus de raison de garder le centre de santé départemental."

 

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