Lorsqu’on lui demande s’il envisage de mettre fin à ses multiples engagements, Thierry Pêchey marque un léger temps de réflexion. "Je vais vous dire oui, mais on en reparlera dans dix ans", répond-il, amusé. Secrétaire adjoint de la confédération syndicale Convergence infirmière, membre du Conseil national et régional de l’Ordre national des infirmiers, vice-président de l’URPS Grand Est... Il accumule les casquettes depuis plus de vingt ans. "C’est là que je prends du plaisir, peut-être même plus que dans mon métier : l’un des plus beaux du monde, mais qui devient hyper-routinier à cause de l’administratif et des heures passées en voiture", confie l’infirmier libéral.

Cette adrénaline, le Mosellan d’origine la retrouve aussi, et peut-être même davantage encore, dans son engagement en faveur de l’exercice coordonné. En 2018, il fonde l’une des premières équipes de soins primaires (ESP) du Grand Est, sur le secteur de Dommartemont, Essey-lès-Nancy et Saint-Max, trois communes proches de la capitale des ducs de Lorraine. "Là aussi, j’étais un des meneurs", déclare Thierry Pêchey, qui se félicite d’être parvenu à monter pas moins de 25 ESP dans la région en un temps record. Une trentaine d’autres équipes sont à ce jour dans les "starting-blocks", mais attendent "que les tutelles suivent"


"D'égal à égal"

Fort de sa rencontre en janvier 2019 avec le Dr Michel Varroud-Vial, à l’époque conseiller spécial soins primaires à la DGOS, l’infirmier "conceptualise" ce qu’il faisait déjà de manière informelle avec ses confrères. Fédérateur, il aide tous ceux qui le souhaitent à se lancer dans "l’aventure" des ESP pour le bien du patient mais aussi pour que la profession infirmière soit visible. "Quand on est une structure à 15, 20 ou 30 personnes, on est beaucoup plus forts et plus écoutés que si on était seul. Et puis vous êtes aussi l’interlocuteur de l’ARS."

Après la mise en place de ces ESP, la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) de la métropole nancéienne voit le jour quelques mois plus tard, en 2018, et il en devient le vice-président. "Nous, infirmiers, on a intérêt à être dans le bureau de ces structures parce qu’au-delà des missions socles, on parle de prévention, et nous avons un rôle important à jouer là-dedans", explique cet éternel engagé, qui avoue aussi craindre un glissement de tâches… Aujourd’hui, ce fils de préparateurs en pharmacie se réjouit de travailler d’égal à égal avec les autres soignants, d’apprendre des uns et des autres. "Vous savez, il y a trente ans, le médecin était encore le père. Il arrivait, et tout le monde s’inclinait à son passage. Là, ce n’est plus le cas", se réjouit-il.

Son engagement a émergé dès l’obtention de son diplôme d’infirmier, en 1987. Thierry Pêchey débute sa carrière en clinique privée, où il enchaîne tous les jours les heures supplémentaires non payées. "On exploitait le fait que j’étais soignant et que je ne laisserais pas tomber les patients", raconte l’infirmier, qui commence alors à éplucher les textes de loi pour mettre fin à ces abus. Il quitte l’établissement privé pour s’installer en libéral à Essey-lès-Nancy. C’est là qu’il s’engage au sein du Syndicat professionnel des infirmières libérales (Spil).

À la fin des années 1990, il dénonce, avec d’autres syndicats, la mise en place de quotas alors que le pays manque cruellement de professionnels. "L’Assurance maladie voulait nous imposer un quota de 18 000 actes, alors que la plupart d’entre nous faisions jusqu’à 30 000 actes, et on refusait des patients !" En 1999 naît Convergence infirmière, au sein de laquelle il manifeste contre un projet de plan de soins infirmiers signé par la Fédération nationale des infirmiers (FNI) qui limiterait leur "rôle propre", les "soins liés aux fonctions d’entretien et de continuité de la vie". Ces mouvements rassemblent pendant plusieurs mois pas moins de 10 000 infirmiers libéraux dans les rues de Paris.

Dès son entrée à la confédération, Thierry Pêchey intègre le bureau du syndicat : on l’écoute, on lui fait confiance, on apprécie son investissement. "Quand vos collègues voient que vous savez argumenter, ils vont vous écouter et vous suivre", explique celui qui a entrepris, en 2011, un master en éthique et droit de la santé, embarquant avec lui une quinzaine de collègues. Cette formation, portée par le rapport Hénart, avait pour but de faire évoluer le métier d’infirmier. "C’était un peu les prémices des infirmières en pratique avancée."

Mais en 2012, le gouvernement change de main, et le projet est tué dans l’oeuf, à son grand dam. Certains s’arrêtent au terme de la première année, d’autres, comme lui, poursuivent jusqu’à l’obtention de leur master. "On n’a pas fait tout ça pour rien, parce qu’on a appris beaucoup. Mais on reste quand même déçus de ne pas avoir pu atteindre l’objectif avancé."


Solidarité en temps de crise 

Des déceptions, il en a connu. Comme lorsqu’il a compris que les institutions ne tiendraient pas leurs promesses de financement pour son ESP, par exemple. Ou plus récemment, quand il n’a pas obtenu les fonds demandés pour l’achat de protections individuelles, et ce "malgré les promesses de l’agence régionale de santé", obligeant ainsi les 15 membres de l’ESP à faire des appels aux dons. "On a pu récolter des masques chez des peintres. Des kinés nous ont donné leurs blouses, des dentistes ont offert leurs masques, se souvient-il, reconnaissant. Heureusement, il y a une solidarité entre nous."

"À chaque fois, on s’engage, on arrive à convaincre des collègues qui nous font confiance, et au final, rien n’est fait", s’insurge Thierry Pêchey, qui, pour autant, n’échangerait contre rien cette vie mouvementée : "Je gagnerais mieux ma vie en effaçant tout ça et en exerçant comme tout le monde. Mais après, je prends du plaisir, autrement je ne le ferais pas." Malgré tout, il a tenté de dissuader son fils de suivre ses traces, conscient "des inconvénients de notre profession". En vain, puisque le jeune homme a pris ses fonctions en Ehpad, en janvier dernier... "au pire moment !".

Alors que le corps soignant a subi de plein fouet la première vague de coronavirus et s’apprête à faire face à la deuxième, l’infirmier observe un flot de démotivation auprès des professionnels de ville, comme à l’hôpital. "Ils ont moins envie de s’investir, ils ont envie de rentrer chez eux le soir", constate-t-il, avouant qu’il doit, lui aussi, "un peu plus se forcer" depuis quelque temps. Depuis l’arrivée de cette crise "que personne n’avait anticipée", Thierry Pêchey semble plus que jamais convaincu de l’intérêt de l’exercice coordonné. "Les soignants ont vu l’intérêt d’intégrer une équipe coordonnée pendant l’épidémie", affirme-t-il, rappelant que le Grand Est a été le premier territoire touché par ce virus. C’est pourquoi au coeur de la bataille, "on a partagé nos outils avec l’ensemble des professionnels qui voulaient travailler avec nous, parce qu’on était tous dans le même bateau".

À terme, le président de l’ESP Dommartemont, Essey-lès-Nancy et Saint-Max entend pérenniser ce partage d’informations en permettant à tout professionnel qui prend en charge un patient de profiter des moyens de l’équipe, même s’il n’en fait pas partie : "On ne va plus avoir la réflexion en tant qu’équipe de soins primaires mais en tant qu’équipe de prise en charge."

 

Bio express

1964 : naît à Morhange (Moselle).

1987 : obtient son diplôme d’infirmier.

999 : rejoint le syndicat Convergence infirmière.

2014 : obtient un master en éthique et droit de la santé.

2018 : crée l’ESP de Dommartemont, Essey-lès-Nancy et Saint-Max.

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