Erick Gokalsing tombe très tôt dans le milieu médical : sa mère est infirmière générale à l’hôpital Gabriel-Martin (Saint-Paul, Île de La Réunion), et tous les soirs, à la sortie de l’école, il la retrouve sur son lieu de travail. Le jeune garçon apprécie "la gravité et la profondeur propres aux blouses blanches", et c’est tout naturellement qu’il choisit, quelques années plus tard, de rejoindre un cursus en médecine, à l’université de Montpellier. "Au départ, j’étais très intéressé par le système nerveux, et je pensais m’orienter vers la neurologie", confie-t-il. Mais à 22 ans, un stage au sein d’un service dédié aux suicidants le marque profondément : "Rencontrer des personnes qui ont tenté de mettre fin à leurs jours renvoie à quelque chose de très personnel, surtout quand on a de l’empathie." 

Un autre stage au Samu l’interpelle également en raison du nombre d’interventions auprès de suicidants. Ces expériences réveillent chez lui le désir de s’engager sur le terrain, sur des situations d’urgence : pensant se spécialiser en anesthésie-réanimation, son classement au concours de l’internat le pousse finalement à choisir une autre spécialité. Ce sera la psychiatrie, domaine qui fait le lien entre son intérêt initial pour le système nerveux et sa volonté de s’engager auprès de personnes en souffrance mentale. Il effectue son internat au CHU de Nice : "Les visions étaient novatrices, intégrant par exemple une vision biologiste de la psychiatrie sans bannir pour autant la psychanalyse." 

À l’issue d’un DEA de psychopathologie à Paris et de sa thèse de médecine, il engage une nouvelle thèse de sciences, sur les fonctions cognitives dans la schizophrénie. Une thématique qu’il approfondit jusqu’au début des années 2000, à la fois comme chercheur, mais aussi dans le cadre de ses fonctions : chef de clinique au CHU de Nice, puis praticien hospitalier au CH Sainte-Marie de Nice, établissement de santé privé d’intérêt collectif, où il est en charge d’une unité d’hospitalisation. Il y fonde entre autres l’association Erahsm (Étude recherche association hospitalière Sainte-Marie), qui vise à fédérer les praticiens répartis sur les cinq sites des hôpitaux Sainte-Marie, par des activités de recherche en réseau. Une initiative qui permettra de décloisonner les approches, et d’impulser de nouvelles méthodes de prise en charge du patient schizophrène ou bipolaire, dont psychoéducatives : "Je garde, de cette période, un sentiment ancré : celui d’une psychiatrie plus proche du patient, plus humaniste qu’aujourd’hui." 


Retour à La Réunion

En 2005, un événement familial contraint Erick Gokalsing à rentrer au pays. Île de La Réunion-métropole, le contraste est saisissant : "D’un milieu hospitalo-universitaire, j’ai rejoint un territoire où il n’existait même pas encore de CHU ! Seulement une première année de médecine, gérée par la faculté de sciences." Sa spécialité, la psychiatrie, n’est pas considérée comme prioritaire face à d’autres domaines comme l’infectiologie ou les pathologies métaboliques ou cardiovasculaires. Fin 2007, il intègre l’unité d’urgences psychiatriques de l’hôpital Gabriel-Martin, où il côtoie de nombreux cas de tentatives de suicide (TS) : "Les causes TS peuvent être liées à des pathologies psychiatriques ou provenir d’une souffrance en lien avec des événements de vie, à des violences subies", explique-t-il. C’est sur ce point que se penche le psychiatre : il découvre alors la victimologie, et décide de s’y former en suivant un DU sur le sujet. "Sur le plan clinique, j’étais quotidiennement confronté à des victimes : un lien évident entre victimologie et suicide s’est imposé", se souvient Erick Gokalsing.

En 2014, l’ARS océan Indien lui confie la mission de réaliser un état des lieux de la prise en charge des victimes à l’île de La Réunion, pour mieux identifier et coordonner les acteurs concernés, en particulier au niveau sanitaire. Les observations qu’il développe sont fortes : "J’ai remarqué une réticence de la psychiatrie à aborder la question des victimes, probablement pour des questions de manque de formation, et parfois d’une peur de se confronter à la souffrance psychologique de la victime." Ses recherches l’amènent également à identifier certains types de violences spécifiques vécues ou ressenties par les Réunionnais, comme la violence conjugale dont le taux sur le territoire est élevé par rapport à la métropole*. Il formule aussi certaines hypothèses fondées sur la psychogénéalogie et l’épigénétique : "La société réunionnaise s’est bâtie sur des bases violentes, à commencer par l’esclavage. Pour moi, l’héritage de ce passé se ressent encore aujourd’hui, d’une certaine manière, dans certaines souffrances ressenties par la population." 


"Nourrir ma pratique par la recherche"

En 2013, le médecin psychiatre intègre l’Ipsom (Impact du psychotraumatisme et suicide outre-mer), une équipe de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) composée de chercheurs psychiatres ultramarins (couvrant la Guadeloupe, la Guyane, Tahiti, la Martinique, et La Réunion), sous la responsabilité du Pr Louis Jehel. Afin d’en fédérer les membres, le projet d’études Apsom (Algorithme de prévention du suicide en outre-mer) est lancé quelques mois plus tard. Le programme duplique en partie une étude déjà effectuée en métropole par le Pr Vaiva de Lille (Algos), et propose d’en prolonger certains axes. Parmi les objectifs : observer si une plus grande implication du médecin généraliste auprès du patient ayant tenté de se suicider peut réduire le risque de réitération suicidaire, mais aussi identifier les facteurs et les publics-cibles propres à chaque territoire ultramarin investi.

Tout en assurant son rôle de référent-coordinateur d’Apsom pour La Réunion, le Dr Gokalsing poursuit aujourd’hui d’autres recherches sur le suicide en tant que responsable de la CARSM-OI (Cellule d’appui à la recherche en santé mentale océan Indien), parallèlement à son activité de responsable zonal de la CUMP de l’océan Indien : "Il est important pour moi d’être engagé sur le terrain tout en poursuivant mes activités de recherche. J’ai cette envie de découvrir, pour innover, améliorer les choses, et nourrir ma pratique." Parmi ses autres engagements, il préside l’association Réuni-Psy, qu’il fonde en 2009 pour promouvoir la recherche, la formation, et l’information des professionnels de santé sur les questions de santé mentale à La Réunion. "Notre congrès annuel est ouvert à tous les professionnels de santé, et éligible au titre du développement professionnel continu (DPC)", note-t-il.

Sous ses multiples casquettes, le Dr Gokalsing vise à créer un dynamisme au niveau de l’océan Indien sur les questions psychiatriques : "Tout est à faire, en particulier à La Réunion, un territoire sous-doté en psychiatres. Il est essentiel que les décideurs soutiennent nos projets, que des postes soient créés… mais aussi que les professionnels travaillent en suivant une valeur fondamentale : le don de soi."

*L’île de La Réunion occupe la troisième place des régions les plus touchées par les violences conjugales, après la Guyane et la Corse, rapporte l’Observatoire réunionnais des violences faites aux femmes.

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