Un billet de François-Xavier Schweyer, sociologue, EHESP, chercheur au CMH. 

« Ne pas prévoir, c’est déjà gémir. » Cette réflexion, écrite par Léonard de Vinci à une époque où les épidémies étaient redoutées et où l’idée de la fragilité de la vie était bien présente, prend sens aujourd’hui. Au plan politique comme au plan pratique. À l’ombre des projecteurs braqués sur les services hospitaliers, puis sur les Ehpad, les acteurs des soins primaires ont été passés sous silence. En l’absence d’une structuration d’ensemble, leur mobilisation s’est déployée sur les scènes locales.

Au plan des organisations, trois constats s’imposent : une réponse adaptée aux besoins a été possible là où existait un système d’action local, soit là où les professionnels se connaissaient à travers un réseau de relations plus ou moins formalisé ou un exercice coordonné ; la nécessité des rôles complémentaires des infirmières, pharmaciens, médecins a effacé provisoirement les hiérarchies symboliques ; la gestion des soins a été facilitée par l’engagement d’élus et d’acteurs locaux du secteur social. Ces trois éléments participent à la transformation du modèle de soin et ont été validés en actes.

 

François-Xavier Schweyer
François-Xavier Schweyer, sociologue, EHESP, chercheur au CMH © F-X.S

 

Demain, quand les soins de première ligne auront un rôle important à jouer dans l’après-confinement, ces éléments seront-ils toujours considérés comme optionnels ? L’activité ambulatoire a baissé. Qui pouvait imaginer qu’un médecin puisse se trouver en manque d’activité et de revenu ? La crise offre l’occasion de s’interroger. Cette baisse a été relative, voire nulle, pour les équipes ayant organisé un suivi des patients. Le principe de l’« aller vers » a permis, au prix de nouvelles organisations partagées, d’assurer la continuité des soins.

Ailleurs, la crise a fait accepter le travail supplémentaire et les nécessaires incertitudes d’une appropriation précipitée de la télémédecine dont il faudra faire le bilan. La question de l’accès aux soins et de la santé de tous est renouvelée par le confinement, qui a rendu plus visibles les inégalités sociales de santé. Celles-ci vont se renforcer, la crise sanitaire engendrant une crise économique. Les initiatives déployées dans les quartiers populaires ou en zone rurale pourraient peut-être, un jour, faire école. Et le rapport de force politique dans lequel se sont inscrites jusqu’ici les réformes pourrait changer.

Ce qui est applaudi chaque soir, c’est l’engagement des personnels, l’esprit de service public et le sens moral de leur activité. Une hirondelle ne fait pas le printemps, mais l’histoire a montré que la lutte contre les épidémies, où la sécurité de chacun est garantie par la sécurité de tous, renforce les arguments solidaristes. Le Sras-CoV-2 nous rappelle l’importance du collectif pour survivre.

Il y a trente ans, le sida révélait les limites du savoir médical et de l’organisation de la médecine et, grâce à la mobilisation conjointe d’innovateurs et de patients, il y eut des avancées. La crise actuelle ne nous apprendra rien si on ne travaille pas à interroger les choix à faire et les principes à prioriser. Le changement ne se fait pas au seul plan organisationnel et gestionnaire, il lui faut une vision. 

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