Un billet d'Antoine Prioux, pharmacien, Bugeat (Corrèze). 

Faire plus avec moins, mieux et plus vite. Il faut consentir à cette injonction, sinon boum ! Le fait est qu’il faut s’adapter. Encore une injonction. Mais pourquoi, et comment, s’adapter à un système lui-même fondamentalement inadapté ? Car plus les gens sont malades, plus je gagne ma vie… Le gaspillage profite à l’économie pendant qu’on ferme les yeux sur les lois de la thermodynamique. Le pharmabusiness s’intéresse plus aux promos sur les vitamines Monsanto qu’aux décès imputables à l’iatrogénie médicamenteuse ; la (télé)médecine fastfood s’engraisse tandis que la médecine passionnée s’épuise dans l’entreprenariat de cause.

Globalement, c’est la quantité qui paie. La qualité qui prend son temps, c’est pour les utopistes… « Monde de merde... », comme dirait George Abitbol*. Désolé, c’est simplement un relent de souffrance éthique. En réalité, on n’est pas loin du dépôt de bilan mais on n’a jamais été aussi heureux. On bosse avec les copains, les anciens, les nouveaux, les ayant-droits conscients de leurs devoirs… Et comme l’intelligence collective pluridisciplinaire est plus créative que la somme des intelligences individuelles et mono-catégorielles, on innove à des fins d’adaptation. Le concept d’émergence nous maintient la tête hors de l’eau. On comprend que l’important, c’est le groupe, et que l’objectif, c’est l’équipe. On comprend qu’il faut d’abord désapprendre pour réapprendre à construire ensemble. Essayer ensemble, échouer ensemble, échouer encore et encore, de mieux en mieux. « L’utopie a changé de camp : est aujourd’hui utopiste celui qui croit que tout peut continuer comme avant »**.

Nous devons redéfinir ce qu’est l’intérêt collectif au sein du bien commun, en partant du principe qu’il ne peut pas être la résultante d’une somme d’intérêts individuels. Sortir du déni, accepter que l’indépendance individuelle est une chimère, une autarcie morbide. « Dans la nature, l’égoïsme supplante l’altruisme au sein du groupe. Néanmoins, les groupes altruistes supplantent les groupes égoïstes. Et tout le reste n’est que commentaire. » Cette punchline du sociobiologiste américain Edward Wilson image assez bien la mécanique de sélection multi-niveaux qui s’opère à l’heure actuelle dans l’évolution du système de santé. Elle nous dit que la vraie loi de la jungle, c’est la coopération, l’entraide et l’interdépendance, car ces stratégies évolutives permettent la résilience d’un écosystème.

Néanmoins, elles sont fragiles et longues à mettre en œuvre. Objectif : 1 000 CPTS d’ici 2022 ? Comme si c’étaient des petits pains ! C’est d’un changement de paradigme dont il est question. « Une mécanique sociologique qui implique la genèse d’une communauté de pensée, de méthode et d’objectifs, autour d’outils communs », nous dit le philosophe Thomas Kuhn. Agir en communauté de pensée, penser en communauté d’action. Plus facile à dire qu’à faire… 

* Dans La Classe américaine.

** Comment tout peut s’effondrer,  Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Seuil.
 

RETOUR HAUT DE PAGE