D’après la conférence d’Alain Fischer et Valérie Paris, le 22 octobre 2020, lors du cycle 2020 « La santé, entre confiance et défiance », de la Chaire santé de SciencesPo. 

 

La médecine progresse. La recherche a ouvert la voie à des thérapies innovantes dans le traitement de cancers ou encore de maladies rares. Mais ces progrès se sont accompagnés d’une explosion inédite du prix des thérapies, allant jusqu’à menacer les systèmes de santé et de remboursement, estime Alain Fischer, médecin immunologue à l’hôpital Necker (AP-HP), fondateur de l’Institut Imagine. Et cela, même dans les pays les plus riches.

« En trente-cinq ans, les dépenses sur les médicaments ont été multipliées par 10 à l’échelle mondiale », relève-t-il lors de la dernière session des Tribunes de la santé. Et pour les thérapies innovantes (thérapies géniques, protéines recombinantes, anticorps monoclonaux, CAR-T cells…), le traitement dépasse parfois le million d’euros, menaçant leur utilisation. « Dans certains pays, les médicaments ne sont pas toujours mis sur le marché. Des patients profitent de financements participatifs ou de tirage au sort pour un traitement gratuit… Je pense qu’on est ici loin de l’éthique médicale. »

DES ARGUMENTS BANCALS 

Les laboratoires considèrent qu’ils apportent une amélioration du service médical rendu immense, permettant à des enfants, auparavant condamnés, de vivre en bonne santé. Ils mettent également en avant le coût de la mise au point de ces médicaments (autour de 2,6 milliards de dollars), pour des marchés souvent restreints. Enfin, ils défendent la nécessité de récompenser leur prise de risque, et l’innovation en général. Arguments insuffisants, pour le Pr Fischer. « Les médicaments ne sont pas toujours transformants et, pour ceux qui le sont, il reste une grande part d’inconnu sur le long terme. » Les 2,6 milliards qu’ils annoncent et l’ampleur des risques pris sont également discutables, le système des biotechs à l’interface entre la recherche académique et les laboratoires pharmaceutiques leur permettant d’investir à risque modéré.

« On observe aussi que les prix ne sont pas toujours à l’échelle de la taille du marché, ajoute-t-il. Pour la bêtathalassémie, le traitement est proposé à 1,5  million d’euros » alors que plusieurs dizaines de milliers de personnes pourraient être concernées. Enfin, il semblerait que le marché du médicament soit largement récompensé pour les risques qu’il prend : ses bénéfices sont très supérieurs à ceux de tous les autres secteurs.

ÉQUILIBRER LES PROFITS ET L'ÉTHIQUE

En France, même si le Comité économique des produits de santé (CEPS) est jusqu’à présent parvenu à maintenir une enveloppe relativement stable pour les dépenses de l’Assurance maladie, « la situation est intenable », note Alain Fischer.

Les principes de l’équation sont les suivants : garantir l’accès universel à tous les médicaments, même les plus onéreux, en maîtrisant cette enveloppe et en assurant la capacité d’innovation. Pour l’équilibrer, il faudra revoir le système de fixation des prix, estime le Pr Fischer. « Il est important de ne pas trop se détacher des coûts et de définir ce que serait un bénéfice raisonnable » ou inclure des clauses de prix lors de la revente des brevets.

Pas si simple à définir ni à mesurer, estime Valérie Paris, économiste au Collège de la Haute Autorité de santé, car nous avons choisi de rémunérer les produits en fonction de leur valeur. « Sur un marché ordinaire, ce que les clients sont prêts à payer pour un produit dépend de ses caractéristiques, comparées à celles de ses concurrents, et de la valeur que le consommateur y attache. Dans le secteur du médicament, où la dépense est largement subventionnée, ce sont les autorités qui déterminent cette “volonté à payer” ». Les messages envoyés sont donc importants. Jusqu’à présent, ils sont clairs : la France est prête à payer plus cher pour les médicaments oncologiques et orphelins.

UNE ÉQUATION INSOLUBLE ?  

La création d’entités de production à but non lucratif pourrait faire office de système concurrentiel, enclin à faire baisser les prix. « En Inde, grâce à l’engagement d’États et de l’État fédéral, des thérapies géniques sont développées à des prix qui n’ont rien à voir avec ceux proposés par les grands laboratoires », souligne Alain Fischer. Il est aussi essentiel à ses yeux de s’engager dans des négociations conjointes, « au minimum » à l’échelle européenne, et dans l’idéal au sein de l’Organisation mondiale de la santé. La transparence sur l’établissement des prix paraît être un minimum.

Mais, encore une fois, elle se heurte aux intérêts des laboratoires. « Si tout était transparent, une spirale tirerait les prix dans tous les pays vers les plus bas, ajoute Valérie Paris. Nous pourrions imaginer la coordination à l’échelle européenne, et des prix différents selon les pays, qui permettraient aux pays les plus pauvres d’avoir accès à ces médicaments… Mais mon expérience de l’économie industrielle internationale me fait penser que c’est un peu utopique. »

« Nous sommes à la croisée des chemins, résume le Pr Fischer. Nous disposons maintenant de médicaments efficaces, mais leur mise sur le marché restreint la possibilité d’accès… Nous sommes face à une question éthique majeure à laquelle il faudra répondre très vite. »

 

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