Entretien initialement publié dans Concours pluripro, avril 2021.

Le concept des soins primaires a été introduit dans la loi santé de 2016. Pourquoi revenir, aujourd’hui, sur cette notion dans votre ouvrage ?
Dans leur définition, les soins primaires regroupent les professionnels de première ligne, les fonctions prestataires et organisations, et les principes d’orientation politique. Ce n’est pas seulement le cadre établi par la loi, mais un processus qui donne un cadre de référence pour comprendre la transformation du système de santé en cours. C’est ce qui explique l’évolution des pratiques professionnelles. Et comme cela concerne beaucoup de monde, nous avons voulu proposer cet ouvrage accessible et à la portée de tous pour donner aux professionnels et aux parties prenantes embarquées dans les reformes actuelles un cadre pour comprendre le sens et les valeurs liés à ces transformations.

Tout en faisant l’historique de leur mise en place, vous dites que "les soins primaires sont souvent perçus comme des soins rationnés de moindre qualité". Pourquoi ?
Au niveau international, la notion de soins de santé primaires, promue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), concerne l’accès à des conditions de santé pour des populations. Dans les pays riches, une bonne partie de ces conditions ont été mises en place dès la fin du XIXe et au cours du XXe siècle. Par conséquent, cette mission de la santé pour tous de l’OMS vise d’abord les pays pauvres. Ce qui explique que, du point de vue des pays riches, les soins primaires s’adresseraient à "d’autres".

En France, les soins primaires concernent les soins de premier recours, très liés à la médecine générale, qui est en train de réhabiliter son image par rapport aux autres spécialités médicales historiquement établies. Le fait que la médecine générale soit reconnue comme une spécialité participe à sa reconnaissance et, par contamination symbolique, les soins primaires se retrouvent aussi valorisés dans ce processus.

 

>> Lire aussi : Yann Bourgueil : "En soins primaires, un médecin ne peut pas tout gérer... ça n'a pas de sens"

 

Avec la loi de transformation du système de santé de 2019, la notion de "soins primaires" a évolué en "soins de proximité". Était-ce indispensable ?
Cela relève sans doute du compromis politique. Le terme "soins primaires » étant un peu connoté en ce qu’il suggère un changement de modèle de pratique, le législateur a préféré l’expression « soins de proximité », qui est fonctionnelle et neutre.

Soins de premier recours, soins de proximité, soins de première ligne, soins premiers, soins primaires… Pourquoi autant de désignations ?
Il y a un enjeu symbolique dans toute appellation. Au fil des textes officiels, on a parlé du premier recours, puis des soins de proximité, d’autres parlent des soins premiers… mais ce ne sont pas de stricts équivalents. Il y a une volonté de neutralité des pouvoirs publics, notamment en utilisant les notions de "recours" ou de "proximité". Bien qu’au fond il n’est pas certain qu’il y ait une réflexion approfondie sur leur utilisation.

Le choix de "soins premiers" promu par le Collège national des généralistes enseignants est intéressant : "premiers" serait mieux que "primaires". Or dans "soins primaires", on retrouve une ambition politique, et des valeurs de justice sociale et de réduction des inégalités de santé. En clair, les soins primaires dépassent le projet curatif médical. C’est non seulement une démarche pluriprofessionnelle mais aussi une approche populationnelle et territoriale. Dans la transformation actuelle du système de santé, il y a à la fois des changements organisationnels et une évolution des pratiques et des relations professionnelles, mais aussi une évolution dans la conception que l’on a des soins. Une dimension « culturelle » (au sens anthropologique) des soins primaires qui provoque un déplacement du curatif vers la santé. En ce sens, ce terme nous semble plus riche.

Le travail pluriprofessionnel s’apprend et engage des outils, des règles et des financements mais aussi une culture, des valeurs...
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