Vous avez récemment pris la présidence de la Fédération des soins primaires (FSP). Quel est le rôle de cette entité ?

L’objectif est de fédérer, au sein d’une même structure, les différentes professions du premier recours, de trouver des points communs et d’éveiller l’envie collective d’une reconnaissance de ce travail fait au quotidien. La Fédération a été créée par un collectif interprofessionnel* en novembre 2016 et elle vise à donner une visibilité à cette première ligne de soin.

C’est aussi un espace pour produire de la donnée, dialoguer ensemble, donner du sens au travail en équipe… C’est important de recueillir la pluralité des visions pour trouver le plus petit dénominateur commun qui permet d’avancer ensemble. La FSP se positionne aussi comme un interlocuteur des pouvoirs publics, notamment dans le cadre des négociations conventionnelles.

La question du médecin traitant n’est pas une question de pouvoir mais de responsabilité

Justement, que disent les négociations de cette première ligne ?

La loi de modernisation de notre système de santé de Marisol Touraine [janvier 2016, NDLR] précise que les équipes de soins primaires (ESP) sont composées de deux professionnels de santé de premier recours, dont un médecin. Les maisons de santé (considérées comme des ESP plus abouties et plus complexes), les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et les plateformes territoriales d’appui (PTA) ont aussi été définies. Mais sur la question de l’appui et du financement, on s’y est pris à l’envers dans le modèle pyramidal : on a commencé par donner de la visibilité et des moyens à la PTA. Ensuite, à la CPTS, en tant qu’organisation territoriale. C’est seulement là qu’on s’est dit qu’il serait bien de miser sur des ESP, censées être simples, sans formalisation complexe et avec moins de professionnels. Finalement, c’est tellement simple et peu défini qu’elle a du mal à trouver son cadre.

Pourtant, ces structures ont leur raison d’être ! En Pays de Loire, par exemple, des expérimentations « article 51 » Équipes coordonnées localement autour du patient (ESP Clap) se déploient rapidement, car cela correspond à la réalité du terrain. Mais le modèle juridique coince car une association ne peut pas rémunérer ses membres pour des activités de soin. La négociation de l’avenant 9 doit donner des moyens pour favoriser l’émergence des ESP. C’est la première marche vers l’exercice coordonné.

Vous êtes aussi la première vice-présidente de MG France. Avez-vous les mêmes attentes comme médecin généraliste et comme présidente de la FSP ?

Prenons l’exemple de la crise sanitaire : tous les soignants se sont mobilisés pour créer des organisations Covid. Chacun a souligné le travail réalisé par sa profession, mais chacun l’a fait de son côté. Notre idée à la FSP, c’est de dire : nous professionnels de premier recours, nous première ligne de soins, nous soins primaires, nous étions là pour répondre en urgence aux besoins de la population.

En tant que généraliste, je dis que les médecins sont présents. En tant que fédération, je dis que les professionnels de soins primaires sont capables de s’organiser pour faire face, ensemble, à une telle crise. Nous, libéraux, représentons une digue qui protège l’hôpital, à condition d’être organisés.

Ces deux casquettes sont-elles facilement conciliables ?

Pas toujours, mais l’idée c’est de sortir de notre façon de cloisonner les choses. Certes, le syndicat prend des positions dans le cadre de l’exercice coordonné, mais cela montre à quel point on est là pour faire évoluer notre profession dans le bon sens : sans la dépecer ou la démanteler, mais en faisant les choses dans l’intérêt de tous les soignants.

Je suis médecin et je tiens à ce que ma profession soit respectée dans toutes ses missions. Parallèlement, je vois que ce métier évolue et que je peux partager des choses avec d’autres professionnels. Et je vais créer un endroit où on peut réfléchir ensemble à l’évolution de chaque profession.

La double position n’est pas toujours confortable, mais c’est dans ces moments-là qu’il faut communiquer. Par exemple, AVECsanté, qui fait partie de la FSP, parle de « promotion » quand les syndicats militent plutôt pour la « défense ». Mais défendre, ce n’est pas s’accrocher de façon indéfinie à la balise au risque de se noyer. En revanche, la réflexion doit se faire dans le respect du corps de métier de chacun.

Bon nombre de médecins, notamment au sein des syndicats, sont assez réticents à l’exercice coordonné. Comment fait-on pour les convaincre ?

On ne convainc pas par des mots mais en vivant les choses ! On les convainc en leur montrant l’intérêt de ce mode d’exercice, sa capacité à leur faciliter la tâche, le plaisir qu’ils pourraient y trouver et que, loin de les diminuer, exercer ainsi les grandit. Mais le changement nécessite du temps et de l’accompagnement. L’exercice coordonné, ça commence par un petit pas et ça passe d’abord par de petites coopérations, par exemple avec l’infirmière Asalée ou l’assistant médical… Chaque petite marche mène tout doucement à coopérer davantage avec d’autres. Même si certains marchent plus vite que d’autres, c’est un mouvement collectif. Et c’est la question de la masse critique qui va l’emporter.

La notion d’équipe traitante est de plus en plus défendue par les professionnels. Militez-vous également en ce sens ?

À MG France, nous nous élevons contre ce dispositif qui, à notre avis, usurpe le mot « traitant ». La question du médecin traitant n’est pas une question de pouvoir mais une question de responsabilité. C’est le médecin traitant qui prend la responsabilité du parcours du patient car c’est lui qui a une vision globale. Quand il accepte de devenir médecin traitant, il engage sa responsabilité dans le suivi et l’accompagnement du patient. Et il s’entoure d’autres professionnels. Dans le cas d’une équipe traitante, qui est responsable ?

Ma position ne varie pas même si je prends la casquette FSP. Quand vous créez une équipe, il faut poser cette question de la responsabilité. Je ne vois pas comment on peut fonctionner sans un pilote dans l’avion. Il faut en discuter et trouver un compromis sans mettre en danger les dispositifs déjà en place. Évidemment, tout est une question de posture. Les choses bougent mais il faut malgré tout que quelqu’un soit responsable du parcours du patient. Et on peut être responsable sans jouer le chef et ordonner aux autres. On peut être responsable en animant, en étant le liant au sein de l’équipe grâce à cette vision globale. Aujourd’hui, on essaie de modifier les postures et on inclut l’ensemble des professionnels dans un schéma le plus horizontal possible afin que tout le monde trouve sa place.

FSP, FNCS, AVECsanté, FFPS, USMCS, FCPTS… Les entités sont nombreuses. Comment la FSP s’inscrit-elle dans cet environnement ?

Il est vrai que cela peut prêter à confusion. Mais chacun a son rôle et ses missions propres. Reprenons l’exemple d’AVECsanté : elle accompagne les professionnels dans la mise en place des MSP. Elle a ouvert le champ de l’exercice coordonné en maison de santé avec beaucoup d’efficacité, mais aussi des freins, notamment le problème de la création des Sisa ou les systèmes d’information partagés… AVECsanté a un rôle opérationnel : elle accompagne, identifie et donne les outils à une frange de la première ligne de soin qui exerce en MSP. La FSP s’inscrit davantage dans un rôle politique de visibilité des soins primaires. Elle vise la reconnaissance du premier recours, que l’on soit dans une équipe structurée ou pas. Et porte d’une seule voix les missions qui peuvent être communes aux professionnels en première ligne : qui sont-ils ? que font les soins primaires ? comment participer à l’organisation d’un système de santé tout en respectant des niveaux de recours bien identifiés ?

Dr Pascal Gendry, Dr Claude Leicher, Dr Frédéric Villebrun, Dr Margot Bayart… Un bon nombre de fédérations sont présidées par un médecin. Est-ce symptomatique de l’organisation du système de santé ?

C’est symptomatique de la place du médecin dans la prise en charge des patients. Aujourd’hui, c’est lui qui prend le leadership des structures afin d’accompagner la transformation du système de santé. Pour, à terme, amener les autres professionnels à être autonomes. Il a une vision globale, garde un lien avec toutes les différentes structures, et est peut-être le mieux placé pour passer le relais. Sans médecin généraliste, pouvez-vous construire un système de santé ? Je ne le crois pas…

* ANSFL, Asalée, FFMPS, FNCS, MG France, Sniil, UNAP-SNP, USMCS et USPO. 

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