« À l’origine, l’idée n’était pas de créer une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) mais un cabinet de groupe pour permettre de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle », explique Jean-Louis Gerschtein, médecin généraliste et président de la MSP de la Roya (Alpes-Maritimes). Août 2000, deux médecins de la vallée, jusqu’alors concurrents, décident d’unir leurs forces et se réunissent, avec un autre praticien, pour mettre en place une organisation permettant à chacun de travailler trois semaines, suivies d’une semaine de repos. Un repos qui commençait à leur faire défaut au sein de cette vallée isolée qui s’étend sur une quarantaine de kilomètres. « Notre territoire est l’un des plus excentrés de France, précise Jean-Louis Gerschtein. En dehors d’un accès via un col de haute montagne, il faut passer par l’Italie pour arriver dans la vallée. »

Sur place, les médecins généralistes sont correspondants Samu et responsables des gardes. Ils assurent la permanence des soins, interviennent comme médecins coordonnateurs dans les établissements sanitaires, font tourner le service de médecine et de soins de suite et de réadaptation (SSR) des deux hôpitaux de proximité situés dans le haut et le bas de la vallée.

Aujourd’hui, entre les quatre médecins qui composent la structure, l’organisation fonctionne par binôme : deux médecins sont présents au cabinet pendant deux semaines d’affilée, alors que les deux autres sont hors des murs. Et en profitent pour se reposer, se former, ou s’investir dans le développement de la MSP et dans d’autres structures où ils interviennent comme médecin coordonnateur. « Nous travaillons en quinconce pour que nous puissions tous nous croiser, et nous partageons nos honoraires, précise Jean-Louis Gerschtein. Ce fonctionnement est le socle de notre réussite actuelle. »

Un bâtiment de 600 m2

En 2010, les professionnels de santé souhaitent modifier leur organisation. « Les médecins ont démarché l’hôpital de proximité de Breil-sur-Roya, qui disposait d’un bâtiment libre, pour proposer d’y installer leur maison de santé rurale », raconte le médecin généraliste. Le projet est réalisé en partenariat avec l’agence régionale de santé et l’hôpital, afin d’obtenir des fonds pour rénover le bâtiment de 600 m2. Février 2012 signe l’entrée dans les murs. « Quand je suis arrivé fin 2011, mon objectif était de faire évoluer la structure en MSP, en élaborant un projet de santé commun », témoigne Jean-Louis Gerschtein qui en devient le leader. Entre-temps, l’équipe s’étoffe : dentistes, kinésithérapeutes, infirmières libérales, orthophonistes, radiologues, ophtalmologues… La MSP compte aujourd’hui une trentaine de soignants. « Nous avions nos cabinets dans le village, et avions déjà envisagé de nous regrouper, notamment pour avoir des locaux adaptés et plus accessibles », indique Krisztian Danka, l’un des quatre kinésithérapeutes. Le choix de la MSP convainc à l’unanimité.

Les kinésithérapeutes ont récemment monté un projet de santé avec les médecins sur le sport-santé et les maladies chroniques, qui fait aussi intervenir des psychologues et diététiciens. « Depuis cette année, nous prenons en charge des patients sur une durée de six mois, en relais avec un coach sportif, pour des cours de sport et des conseils d’éducation », explique Krisztian Danka.

D’autres projets de santé ont été lancés, notamment la coordination autour de patients complexes. Le principe ? Lorsqu’un patient est hospitalisé en SSR, une réunion de synthèse est organisée avec la coordinatrice de la MSP – une infirmière de l’hôpital mise à disposition –, le médecin traitant, les infirmières libérales et les assistantes sociales. « Nous tenons également une réunion de concertation pluridisciplinaire pour les cas difficiles de maintien à domicile, afin d’éviter les réhospitalisations », indique Jean-Louis Gerschtein.

Parmi les protocoles, l’un concerne les INR. « Entre 17 h et 18 h, la secrétaire du cabinet reçoit l’ensemble des résultats des patients prélevés le matin, rapporte celui-ci. Les médecins ajustent les posologies, et ensuite place aux infirmières libérales qui, au domicile des patients adaptent la prescription en fonction des informations qu’elles reçoivent sur le logiciel d’informations partagées. » La MSP a aussi conclu des conventions-cadres avec l’hôpital, dont une sur la télémédecine : l’hôpital met une salle à disposition de la MSP, qui a acheté le matériel et, en contrepartie, peut l’utiliser pour faire de la téléformation, par exemple. La MSP porte aussi le plateau technique de l’hôpital, avec une salle de radiologie et d’échographie.

Attirer les jeunes

« L’objectif de ces projets est d’améliorer la qualité des soins et le lien avec l’hôpital, mais aussi d’optimiser et de pérenniser l’offre de soins », rapporte Jean-Louis Gerschtein. D’où la casquette de maîtres de stage afin d’accueillir des internes en médecine, dont deux ont été recrutés. Les kinésithérapeutes se sont également formés à devenir maîtres de stage. « Nous voulons recevoir les stagiaires pour leur montrer l’intérêt de travailler en MSP et en milieu rural », explique Krisztian Danka, précisant que l’avantage de leur organisation est de pouvoir travailler à plusieurs kinésithérapeutes en même temps et de collaborer avec les autres soignants.

Aujourd’hui, les professionnels de santé se concentrent sur l’élaboration de leur communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) avec un projet d’ouverture d’une MSP à Menton, qui regroupera des médecins jeunes retraités et des jeunes diplômés recherchant davantage un exercice en milieu urbain.

Témoignage

« Les jeunes médecins sont demandeurs d'un exercice diversifié »

Témoignage du Dr François Castier, médecin généraliste à la MSP de la Roya depuis trois ans 

« Les jeunes médecins restent longtemps des remplaçants, notamment parce que les “installés” ne leur proposent que trop rarement des projets concrets et rassurants, ou une organisation solide permettant de concilier vies personnelle et professionnelle. Soit, l’inverse de ce que m’ont proposé les médecins de la MSP de la Roya. À l’origine, j’avais une vision archaïque de la médecine générale libérale, et je voulais devenir médecin légiste. Mais mon projet a changé à la suite d’un stage d’internat à la MSP. J’ai décidé de suivre les deux spécialités et de renoncer à une carrière hospitalo-universitaire pour m’installer au sein de la structure. Son fonctionnement particulier, le fait que nous tournions entre associés deux semaines sur deux semaines, m’a séduit. Cela me permet, notamment quand je ne travaille pas à la MSP, d’être vacataire au CHU de Nice comme médecin légiste. C’est aussi très confortable d’avoir un lien direct avec les autres soignants de la MSP et la plateforme territoriale d’appui. Les ressources sont nombreuses et les échanges sont simplifiés. Les jeunes médecins sont demandeurs d’un exercice diversifié permettant de casser la routine. Aujourd’hui, pour que notre organisation soit pérenne, nous avons besoin de recruter dans cette dynamique. » 

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