« Après la mise à mort de l’hôpital, mise à sac des maisons de santé. » C’est sous une bannière commune qu’une équipe de la MSP des Deux Portes (Paris, 10e arrondissement) – médecins généralistes, infirmières, masseur-kinésithérapeute et orthophoniste – s’est réunie le 3 février 2020, place de la Bastille, pour manifester contre la réforme des retraites. Leur troisième mobilisation en équipe depuis le début des manifestations lancées en décembre 2019.

« Nous sommes deux infirmiers au sein de la MSP et nous avons généralement de grosses amplitudes horaires, notamment pendant la période hivernale. Mais, depuis quelque temps, il y a eu une vraie baisse d’activité en raison notamment de la présence de prestataires privés qui “recrutent” des patients dans les services hospitaliers, leur proposant une sortie d’hospitalisation clé en main, avec infirmières et livraison de matériel au domicile. Il est rarement demandé au patient s’il a déjà une infirmière », explique Delphine Lemonnier, infirmière au sein de la structure.

Une situation délicate et une anxiété que plusieurs paramédicaux partagent en réunion de concertation pluriprofessionnelle (RCP), et qui trouvent écho auprès de l’équipe. « Cette logique budgétaire de la réforme des retraites, voire cette obsession, est un très mauvais calcul de la part des pouvoirs publics. Surtout pour des structures comme la nôtre qui compte 8 paramédicaux sur ses 12 professionnels de santé », déplore le Dr Pierre Dumasy, médecin généraliste et l’un des fondateurs de la MSP des Deux Portes.

« Travailler en maison de santé pluriprofessionnelle est, en soi, un engagement militant et politique. Une structure que nous construisons avec des personnes qui s’impliquent également dans cette disponibilité et cette ouverture d’esprit afin d’atteindre un objectif commun : améliorer la prise en charge du patient et construire un meilleur système de santé, décrit le médecin. Nous sommes des professionnels libéraux de secteur 1, notre seul critère d’ajustement des revenus passe par le nombre de consultations. Et pour valoriser un exercice de qualité, il faut permettre à celui-ci d’exister également sur des critères financiers. »

Comme la viabilité économique d’une MSP dépend de la répartition des professionnels de santé qui la composent, « le fait d’avoir beaucoup de paramédicaux permet une richesse de l’offre de soins mais ne garantit pas toujours, malheureusement, une richesse économique, poursuit Pierre Dumasy. Et si les professions paramédicales sont fragilisées et, par exemple, obligées d’aller vers le salariat ou de se tourner vers les prestataires privés, la population n’aura plus accès aux soins de premier recours coordonnés en secteur 1. Laissées aux mains d’autres, les visites à domicile ne seront plus assurées par la même infirmière, les heures de passage dépendront des optimisations de tournées, les soins risquent d’être réalisés au lance-pierre… En clair, la relation avec le patient va se détériorer ».

Mise à mort, mise à sac

Le 17 décembre dernier, Delphine Lemonnier est dans les rues, en soutien à la manifestation des hospitaliers contre la réforme des retraites. « Et j’ai été surprise, dit-elle, car je n’y ai vu aucun syndicat infirmier. » Elle contacte donc les syndicats libéraux, puis d’autres maisons de santé, mais aussi la Fédération des maisons et pôles de santé en Île-de-France (FemasIF)...

Les réponses ne la rassurant pas, elle décide d’agir, avec son confrère Thomas Leba. « Il fallait qu’on soit visible. Et ça a été du bricolage !, avoue-t-elle en souriant. On a contacté les médias, les syndicats, et discuté en équipe des moyens d’assurer cette visibilité : draps ensanglantés, die-in, pancartes, surblouses, masques… » Les 17 décembre, 24 janvier et 3 février derniers, la MSP a battu les pavés de la capitale pour dire « la mise à sac des maisons de santé, des paramédicaux de ville secteur 1 ». Pour crier son refus de changer sa manière de vivre le soin : « Je ne me vois pas travailler différemment et faire de l’abattage pour rééquilibrer financièrement mon activité. Ou de faire des dépassements d’honoraires, avoue Delphine Lemonnier. Et je suis persuadée que les soins à domicile ont un rôle de veille notamment auprès des patients âgés, ce qui permet le maintien à domicile et évite l’hospitalisation… Soit l’un des objectifs du plan Ma santé 2022. »

Un petit espoir réside aujourd’hui dans la perspective de la prochaine communauté professionnelle territoire de santé (CPTS), actuellement en construction avec, entre autres, la MSP de la Grange-aux-Belles et le centre de santé Richerand, et les libéraux du territoire. Ce qui « permettra aussi de communiquer sur la problématique des prestataires, de se regrouper et de mettre en place un numéro unique pour avoir un lien direct avec l’hôpital », avance l’infirmière.

Aujourd’hui, « il faut mettre de l’argent dans le soin et non l’en priver, exhorte Pierre Dumasy. Car cette question de la réforme de nos retraites est un problème à la fois pour les soignants et les patients. Et elle pose la question de l’avenir de notre futur système de santé. » C’est le message porté par la maison de santé. D’ailleurs, à la dernière manifestation, le slogan « Solidarité avec le personnel hospitalier » a été remplacé par un « Solidarité avec les personnels de santé » à pleins poumons.

Qui êtes-vous ?

> Située à proximité de la gare de l’Est et de la gare du Nord, la maison de santé des Deux Portes compte 12 professionnels de santé : 4 médecins généralistes, 2 infirmières, 2 masseurs-kinésithérapeutes, 1 orthophoniste, 1 ergothérapeute, 1 sage-femme et 1 diététicienne.

> En 2018, l’ARS Île-de-France, avec la Région et la Mairie de Paris, a accompagné et aidé le déménagement et l’agrandissement de la MSP dans des locaux accessibles aux personnes à mobilité réduite.
 

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