"Nous sommes obligés de trouver des solutions pour répondre aux besoins de la population. Le salariat, c’est une solution pragmatique pour concourir aux besoins de santé et qui peut correspondre à un besoin d’un professionnel à un moment donné", lance Pascal Gendry, médecin généraliste à Renazé et président d’AVECSanté, interrogé par le cabinet Houdart & associés. Et si une maison de santé décide de salarier un médecin, elle le fait "pour compléter une offre [qu’elle n’a pas] ou pour ne pas perdre le statut de Sisa, notamment en cas de départ à la retraite d’un médecin".

En revanche, la Sisa étant parfois peu épaulée au niveau de la fonction de coordination et les moyens faisant défaut du fait du manque de médecin – une enveloppe ACI faible –, le salariat "peut présenter un coût financier et générer une gestion supplémentaire que la maison de santé ne pourra pas absorber". "Il y a un souci de cohérence, lorsqu’on présente la Sisa comme le moyen pour les professionnels de se recentrer sur leur fonction, grâce au rôle du coordinateur, mais qu’en même temps, on leur demande de gérer des salariés", poursuit le médecin. A ses yeux, le principal frein au salariat en MSP, "c’est qu’on a des difficultés techniques, notamment avec les modalités de facturation. On a l’expérience à acquérir, et on revient toujours à la problématique de sécurisation juridique et financière des associés membres de la Sisa. On peut comprendre qu’un orthophoniste n’ait pas envie de prendre le risque de recruter un médecin..."

Complémentaire à l’exercice libéral

Le salariat peut-il être l’unique solution aux difficultés de recrutement, et parfois de fonctionnement, rencontrées par les maisons de santé ? Benjamin Trouillet, pharmacien et co-gérant de la Sisa "Stgosanté", située à Saint-Gaudens au Sud (Haute-Garonne), en est convaincu : le salariat "permettra de faire venir des prescripteurs (jeunes, remplaçants, retraités)" et ce fonctionnement étant complémentaire du travail des libéraux, il y aura "in fine au cours d’une carrière professionnelle, une perméabilité entre les deux modes d’exercice".

Le bassin du Saint Gaudinois (28 000 habitants) souffrant d’un manque de professionnels de santé, "le salariat peut être une piste, soit pour aider des jeunes à venir, et leur permettre de voir comment ça se passe afin qu’à terme, par exemple ils deviennent libéraux, soit pour le remplacement et les médecins retraités", pense le pharmacien.

Point juridique

Les grandes lignes du dispositif

Deux textes de loi permettent à une Sisa de salarier un professionnel de santé qui contribue à la mise en œuvre du projet de santé, précise le cabinet Houdart & associés : l’ordonnance n° 2021-584 du 12 mai 2021 et le décret n° 2021-747 du 9 juin 2021. Ainsi, la maison de santé, constituée en Sisa, peut encaisser sur son compte "tout ou partie des rémunérations des activités de ses membres ou de celles de tout autre professionnel concourant à la mise en œuvre du projet de santé et le reversement de rémunérations à chacun d’eux". Cette ouverture au salariat "ouvre des perspectives nouvelles aux maisons de santé en leur offrant une configuration inédite qui se rapproche de celles des centres de santé, précise le cabinet. Elle apporte une réponse aux maisons de santé confrontées à de lourdes problématiques de pénurie médicale en leur permettant d’attirer des médecins plus intéressés par un exercice salarié".

Pour autant, poursuit-il, "il apparaît difficile de faire peser cette responsabilité, financière mais aussi en termes de gestion des ressources humaines, sur les professionnels de santé libéraux" qui "ne sont pas habitués à se salarier entre eux mis à part les métiers de la pharmacie". La gestion de la Sisa ne doit pas "emboliser le cœur même de son action qui est médicale au service des patients du territoire". Et si le salariat est une "opportunité dont il faut se saisir", ce n’est pas la solution unique aux déserts médicaux, explique-t-il, citant les infirmières en pratique avancée (IPA) ou la téléconsultation.

Montée en compétences

"L’IPA est une vraie réponse durable aux tensions sur les territoires", lance également Michel Dutech, médecin généraliste et président de la Forms. Mais ces dernières devraient avoir de "vrais financements pour absorber un surplus de patientèle, et dégager du temps pour les médecins pour faire du débrouillage". Au sein de ces territoires désertés, "le salariat en MSP peut être un levier pour réduire fortement les tensions territoriales, mais il faut être vigilant et comprendre les enjeux et les besoins de ces structures", lance le médecin, interrogé par le cabinet.

"Par ailleurs, il y a beaucoup de médecins spécialistes qui partent à la retraite, parce qu’il est difficile de maintenir une activité libérale en étant en activité réduite. De même, la spécialité implique d’être à la pointe, ce qui requiert une activité à plein temps". Pour ces professionnels de santé, "le modèle du salariat est adapté parce que ce sont des gens qui travaillent une à deux journées par semaine, et c’est du second recours. Il permet une montée en compétence de l’équipe de santé et permet également de rendre des services à des patients qui sont en attente d’une analyse spécialiste." Le salariat permettra donc "à la maison de santé de garder des médecins spécialistes sur le territoire, sans avoir trop d’ambition financière", avance-t-il. Mais "pour que cela fonctionne, c’est à la condition que le financement de ces salariés soit associé au financement des fonctions supports, à savoir le secrétariat, la coordination, les ressources humaines…"

Pour Marine Jacquet, avocate associée au sein du cabinet Houdart & associés, le dispositif de salariat en MSP "reste encore à parfaire dès lors que les maisons de santé n’ont pas toujours le budget ou les moyens humains suffisants pour y parvenir mais également la sécurité juridique qui s’impose". Car "un modèle économique viable et une organisation solide" sont des "prérequis indispensables" à l’intégration d’un médecin salarié au sein de maisons de santé. "Les réflexions doivent donc impérativement être poursuivies au niveau national sur le sujet pour amener ce projet à maturité et en faire un vrai outil dans la lutte contre la désertification médicale", estime-t-elle.
 

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