Situé en moyenne montagne, sur le plateau de Millevaches, le pôle de santé créé en 2010 est la solution initiée par des professionnels de santé face au risque de désertification médicale sur leur territoire. Afin de pérenniser l’offre de soins, ils n’ont pas souhaité se réunir au sein d’une seule et même structure, une décision qui n’aurait pas répondu à la demande de la population très dispersée – une douzaine d’habitants au kilomètre carré – et n’aurait fait qu’accroître la difficulté d’accès aux soins. Ils ont ainsi décidé de conserver les lieux de soins existants et d’y ajouter de nouvelles maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) pour créer un pôle de santé multi-sites sur deux départements, notamment la Corrèze et la Creuse. Le réseau est désormais constitué de médecins généralistes, d’infirmières libérales et salariées (un centre de santé), de pharmaciens, de masseurs- kinésithérapeutes et de chirurgiens-dentistes. "Cette organisation est un mécanisme d’adaptation, explique Antoine Prioux, pharmacien et coordinateur du réseau. Cette stratégie évolutive a permis aux professionnels de santé de gagner en stabilité en créant, entre eux, de l’entraide, de la coopération et de l’interdépendance permettant une meilleure gestion de l’équilibre vie privée/vie professionnelle." 

C’est après un diagnostic territorial, effectué en 2011 avec l’aide d’un cabinet de conseil, que les professionnels de santé ont obtenu, via des fonds européens, un financement pour la construction des deux autres petites MSP supplémentaires. Ils ont débuté l’activité du pôle avec l’expérimentation des nouveaux modes de rémunération (ENMR), puis les NMR et le règlement arbitral, avant de s’engager au sein d’une société interprofessionnelle de soins ambulatoires (Sisa) en 2015 et de faire aujourd’hui partie de l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI). "Il était important que les médecins continuent de parcourir la campagne, de cabinet en cabinet, afin de distribuer l’offre médicale", rapporte Antoine Prioux. C’est d’ailleurs cette organisation qui a séduit, il y a deux ans et demi, le Dr Timothée Grenaille, installé dans une MSP à Bugeat, après un stage au sein du réseau Millesoins. "Ce qui m’a attiré, c’est de pouvoir exercer dans mon cabinet situé dans l’une des MSP deux jours par semaine, puis me rendre dans un autre cabinet du réseau pour une journée et ainsi de suite, témoigne-t-il. Le réseau permet de pratiquer de manière éclatée et donc d’assurer la continuité des soins. C’est comme effectuer des remplacements mais en travaillant en mon nom propre."
 

Une coopérative territoriale pharmaceutique

Les projets qui encadrent le réseau Millesoins ne manquent pas. Certains sont directement initiés par les pharmaciens du territoire, qui souhaitent s’organiser en coopérative territoriale pharmaceutique. "Nous sommes cinq officines dans le réseau, suffisamment éloignées pour ne pas être en concurrence, rapporte Antoine Prioux. Mais trois d’entre nous sont en âge de prendre leur retraite. Se pose alors la question du renouvellement de la pharmacie et comment faire en sorte que ce travail en équipe de soins primaires permette de faire évoluer notre métier vers des modes de rémunération plus vertueux ?" Aussi ont-ils pensé à la création d’une coopérative territoriale pharmaceutique, en cours d’élaboration. "Nous ne disposons pas encore d’outil juridique comme les Sisa. Nous souhaitons donc instaurer une société-mère au sein de laquelle les cinq pharmaciens d’officine auraient des parts sociales et seraient sociétaires dans un but de mutualiser les moyens." 

Une pharmacie pourrait par exemple investir dans un robot pour la préparation des doses à administrer afin de fournir un service aux établissements médico-sociaux. Une autre officine pourrait se spécialiser dans le maintien à domicile et investir dans des solutions sur la perte d’autonomie. "Mais ces investissements ne sont possibles que si l’ensemble des pharmaciens investissent ensemble, donc via la coopérative", indique Antoine Prioux. Cette organisation peut aller plus loin car "si les pharmaciens parviennent à bien s’organiser pour se dégager du temps, cela nous permettrait, à nous médecins, de voir moins souvent nos patients puisqu’ils seraient réévalués de manière intermédiaire par un professionnel de santé, estime le Dr Grenaille. Nous pourrions ainsi les recevoir en consultation de manière plus qualitative."
 

Produire de la donnée

Les pharmaciens du réseau souhaitent aussi agir sur la production de données de santé puisqu’ils reçoivent des patients qui représentent toutes les tranches de risque, de l’enfant à la personne âgée. "Nous souhaitons produire de la donnée de santé pour l’équipe de soins primaires parce que plus les professionnels de santé disposent d’informations solides, plus l’incertitude diminue, souligne Antoine Prioux. Ils peuvent alors prendre de bonnes décisions pour leur patient." De fait, si les MSP utilisent un logiciel commun, cela permet de structurer dans un même endroit les données médico-économiques des parcours de soins des patients, les données économiques de consommation des médicaments et donc d’avoir accès aux déterminants de santé.

Aujourd’hui, les professionnels du réseau Millesoins partagent leurs informations sur les dossiers patients en réseau, au sein d’un système d’information partagé. Ils se retrouvent aussi tous les mois pour faire des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) et parler des projets d’évolution du réseau. "Mais pour mettre en place un vrai projet, il est nécessaire d’avoir de la donnée structurée afin de mieux s’organiser et éviter ou réduire des dépenses de santé", considère Antoine Prioux. "Pour mettre ce système en place, nous devons avoir des dossiers carrés et coder les pathologies principales de nos patients, indique le Dr Grenaille. Pour le moment, faute de temps, c’est un peu difficile pour les médecins de le faire. Néanmoins, ce projet peut être essentiel car il permettrait de cibler les problèmes des populations locales et de mieux équilibrer les patients."

La labellisation du pôle de santé en maison de santé pluriprofessionnelle universitaire (MSPU), obtenue en mars dernier, peut amener une avancée dans le domaine. "Le développement de ce pôle universitaire va nous permettre de recevoir des internes qui pourront exercer dans les différents cabinets, fait savoir le Dr Grenaille. Peut-être que cela leur donnera l’envie de s’y installer." Et d’ajouter : "Nous pourrions aussi accueillir des chefs de clinique en médecine générale ayant vocation à faire de la recherche." Les professionnels envisagent de constituer une base de données qualitatives avec des déterminants de santé. Ils souhaitent que ce projet se concrétise par la création d’un tiers lieu orienté "santé et numérique", à savoir un espace de travail collaboratif où différentes disciplines se rencontrent, où des chercheurs, des professionnels de santé, des internes en stage, des entreprises du numérique se retrouvent autour de projets de recherche, de modèles économiques sur l’innovation et aussi sur des projets de santé en soins primaires…

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